Le Peuple et le Roi
massacreurs :
« Ce n’est point une barbarie de purger une forêt de
brigands qui infestent les routes et attentent à la vie du voyageur. Mais c’en
est une atroce de vouloir que le peuple laisse en paix ces mêmes brigands
comploter et exécuter des vols et des assassinats… C’est là véritablement, dans
l’aristocratie propriétaire, qu’existent l’effrayante barbarie, la froideur
criminelle, la haine des lois et la fureur de l’intrigue… »
Mais derrière le « peuple », on sait que les
ordonnateurs de ces assassinats siègent à la Commune du
10 août. Ce sont Danton, Marat et consorts. Et le peuple est
paralysé par l’horreur.
Le libraire Ruault est révulsé de ce qu’il voit.
« J’ai passé, les pieds dans le sang humain, à travers
les tueurs, les assommeurs. »
Il veut faire libérer un prisonnier. Il s’adresse au « juge »
Maillard, qui l’écoute, lui demande des preuves de la bonne volonté patriotique
du prisonnier. Alors que Ruault s’éloigne, Maillard crie d’une voix forte :
« Monsieur, Monsieur, mettez votre chapeau en sortant ! »
On immole ceux qui sortent nu-tête !
« En sortant, continue Ruault, les haches, les sabres
levés se baissent ; je vis expirer à mes pieds, sur le pavé, un vieux et
vénérable prêtre à cheveux blancs en habit violet qui venait de tomber
transpercé de coups de sabre et qui criait encore “Ah, mon Dieu !” »
Ruault a vu aussi « deux hommes nus, en chemise, les bras retroussés jusqu’aux
épaules, qui étaient chargés de pousser dehors les condamnés à mourir, qu’on
appelait élargis ».
Il est toujours membre des Jacobins, mais « tout se
salit, tout s’enlaidit, tout se gâte de plus en plus chaque jour ». Il
constate les rivalités, entre Montagnards et Girondins, entre Paris et la
province. C’est par la terreur qu’inspirent les massacres qu’une faction montagnarde
veut imposer sa loi.
Ruault, bon patriote, note :
« Les discours que l’on tient aux Jacobins sont d’une
extravagance digne des temps où nous vivons. J’y suis resté parce qu’il y a
danger à en sortir. Ceux qui ne renouvellent pas leur carte depuis le 10 août
sont regardés comme des traîtres, des peureux, des modérés : on les arrête
sous un prétexte quelconque. Je resterai donc avec eux jusqu’à la fin de cette
tragédie sans me mêler, autrement que pour les écouter, de ce qu’ils font, de
ce qu’ils disent. On y reçoit depuis un mois tant de gens mal famés, extravagants,
exaspérés, tant de fous, tant d’enragés, que cette société des Jacobins est
toute dégénérée de ce qu’elle était en 1790-1791 et au commencement de cette
année. Les anciens membres ne la reconnaissent plus. »
Comme Ruault, ils se taisent. Et le peuple détourne les yeux,
pour ne pas assister à ces assassinats que perpètre une poignée de tueurs.
On murmure que « Danton conduit tout, Robespierre est
son mannequin, Marat tient sa torche et son poignard ».
En fait Danton laisse faire, justifie, et Robespierre comme
lui utilise la peur créée – ce commencement de la terreur – à des fins
politiques : tenir la Convention qui se réunira dans quelques semaines.
Marat approuve. Et certains comme Collot d’Herbois, ancien
acteur devenu membre de la Commune insurrectionnelle, vont jusqu’à dire : « Le
2 septembre – début des massacres – est le grand article du Credo de notre
liberté. » Et treize cents victimes, qu’est-ce au regard de ce qu’il
faudrait purger ? Trois centaines de mille ! Et ce n’est pas la
moitié des victimes de « l’infâme » catholicisme qui fit trois mille
morts à la Saint-Barthélemy.
Et l’on a tué beaucoup de prêtres en cette première semaine
du mois de septembre 1792, comme si on rêvait d’« écraser l’infâme »,
car on se souvient de cette formule de Voltaire.
Aux Jacobins, on fait l’éloge de Marat.
Il veut être à Paris candidat à la Convention.
Quelques voix s’élèvent pour demander que les Jacobins ne le
soutiennent pas.
Mais l’ancien Capucin Chabot, l’un des premiers à avoir
rejeté sa soutane, devenu un sans-culotte à la tenue débraillée, aux mœurs
dissolues, se lève.
« Je dis que c’est précisément parce que Marat est un
incendiaire qu’il faut le nommer… Il est clair que lorsque Marat demande que l’on
tue un pour éviter qu’on ne tue quatre-vingt-dix-neuf il n’est pas non
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