Le Peuple et le Roi
Maillard.
Le maire Pétion détourne la tête.
« Le peuple de Paris administre lui-même la justice, dit-il,
je suis son prisonnier. »
« Le peuple, dit Couthon, le député Montagnard, continue
à exercer sa souveraine justice dans les différentes prisons de Paris. »
Et Marat s’en félicite.
Son programme d’exécutions qu’il répète depuis des mois – et
presque chaque jour depuis le 10 août – est enfin mis en œuvre.
Un homme comme Fournier – « l’Américain » – s’y
emploie.
Il a vécu à Saint-Domingue. De retour à Paris, il a été un « enragé
du Palais-Royal ». Il a participé à la prise de la Bastille et aux autres
journées révolutionnaires, devenant une figure notoire des Cordeliers.
Il organise le massacre des cinquante-trois prisonniers qu’il
doit transférer d’Orléans à Paris, les livre aux tueurs à Versailles. Mais
avant, il les a dépouillés de tous leurs objets de valeur.
Car on ne se contente pas de tuer. On vole. On pille. Qui
osera s’opposer à ces hommes armés, aux mains rouges de sang ?
Ils exigent qu’on leur donne montres et colliers, bijoux. Il
faut faire vite sinon ils arrachent le lobe de l’oreille avec sa boucle.
Ils s’introduisent dans le Garde-Meuble qui contient les
fortunes royales et y volent pour trente millions de diamants.
Paris est ainsi livré pendant près d’une semaine à quelques
centaines de massacreurs et de voleurs.
« Les circonstances rendaient les exécutions pour ainsi
dire excusables », écrit un fédéré brestois, qui ajoute quelques jours
plus tard : « Elles étaient nécessaires. »
Les sans-culottes, dit-on, ont empêché « les scélérats
de souiller la terre du sang du peuple ».
On tue donc sans hésitation, gaiement.
Autour des cadavres on danse, on chante La Carmagnole :
Ah ! ça ira ! ça ira ! ça ira !
Les aristocrates à la lanterne
Ah ! ça ira ! ça ira ! ça
ira !
Les aristocrates on les pendra.
On les sabre, on les pique, on les dépèce, on arrache leurs
entrailles, on tranche leur sexe.
On dispose des bancs pour les habitants du quartier qu’on
réveille afin qu’ils puissent assister au spectacle « purificateur ».
Et qui oserait refuser quoi que ce soit à ces hommes armés ?
Ils posent des lampions sur chaque cadavre.
Et pour que l’ennui de tuer ne vienne pas tuer l’ardeur, on
s’excite, on jouit de faire souffrir. On met les condamnés à nu, on entaille
leur corps.
Voici la princesse de Lamballe, amie de la reine.
« C’est une petite femme vêtue de blanc, raconte un
témoin, que les bourreaux armés de toutes sortes d’armes assommèrent. »
On lui coupe la tête, on traîne son corps. On le fend, on
arrache le cœur. La rumeur se répand qu’on l’a fait griller et qu’un homme l’a
mangé.
On promène la tête et les parties génitales – dit un témoin
– jusqu’au Temple.
On interpelle Marie-Antoinette. On veut qu’elle voie « comment
le peuple se venge de ses tyrans. Je vous conseille de paraître, si vous ne
voulez pas que le peuple monte ici », ajoute un sans-culotte.
Marie-Antoinette s’évanouit, cependant qu’on promène la tête
de la « ci-devant princesse de Lamballe » devant les fenêtres du
Temple. Et le corps nu et mutilé gît au pied du mur, entouré d’une bande de
quelques dizaines d’assassins et de profanateurs, que par calcul, lâcheté ou
fanatisme, les membres de la Commune insurrectionnelle appellent « le
peuple souverain ».
Et les « massacres » sont justifiés par la plupart
des journaux – à l’exception du Patriote français, dans lequel écrit le
Girondin Brissot qui sait bien que ces égorgeurs, et ceux qui les laissent
faire, ont aussi pour objectif de s’imposer dans la nouvelle Assemblée, la
Convention. Il leur faut pour cela écarter les Girondins, et réduire à un
silence apeuré les électeurs et demain les députés.
Mais dans L’Ami du peuple, ou dans Les Révolues de
Paris, on comprend, on justifie les massacres et même « les indignités
faites au cadavre de Lamballe ». « La Lamballe citée au tribunal du
peuple y a comparu avec cet air insolent qu’avaient jadis les dames de la Cour
mais qui sied mal à une criminelle au pied de son juge. Et l’on voudrait que le
peuple ne perdît point patience ? »
Et dans le Compte rendu au peuple souverain, qui est
patronné par Danton, on prend la défense des
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