Le Peuple et le Roi
mais aussi l’intendance, réorganisés
sous le règne de Louis XVI, sont de fait les meilleurs d’Europe. En émigrant, les
officiers nobles ont libéré des places, vite occupées par de jeunes
sous-officiers roturiers, ambitieux et liés ainsi à la Révolution.
« Il y a entre les anciens officiers et les nouveaux, confie
un colonel, la même différence qu’entre les amateurs et les artistes. Quand
tous les anciens officiers nous auraient quittés, nous n’en serions pas plus
mal. Nous aurions plus d’émulation dans l’armée et il se trouvera des généraux
parmi nos soldats. »
Dumouriez comprend, sent, cette armée nouvelle qui est en
train de naître.
Il a cinquante-trois ans, c’est un homme au petit corps
râblé et nerveux, au visage quelconque, mais l’œil est vif et le regard hardi.
Il est, dit-il, « né entre le peuple et les grands »,
d’une famille noble mais pauvre : capitaine pendant la guerre de Sept Ans,
puis attaché d’ambassade à Madrid, il participe à la conquête de la Corse en
1768, avant d’être agent secret de Louis XV en Pologne et en Suède.
Il a chevauché les événements depuis 1789, il fut ministre, on
le dit proche des Girondins et de Philippe Égalité, duc d’Orléans.
Il a dans son état-major Louis-Philippe, fils de Philippe
Égalité et duc de Chartres.
C’est Danton qui a placé Louis-Philippe auprès de Dumouriez :
« Un conseil avant votre départ, a dit Danton au duc de Chartres en le
recevant à Paris. Vous avez du talent, vous arriverez mais défaites-vous d’un
défaut : vous parlez trop. »
Louis-Philippe s’était élevé contre les massacres.
« C’est moi qui l’ai fait », a répondu Danton.
Il fallait du sang entre les patriotes et les émigrés, a-t-il
expliqué une nouvelle fois.
« Retournez à l’armée, c’est le seul poste aujourd’hui
pour un homme comme vous et de votre rang. Vous avez un avenir, mais n’oubliez
pas qu’il faut vous taire. »
Louis-Philippe se tait et souvent Dumouriez le charge de
faire des reconnaissances, vers ce plateau de la Lune où les Prussiens du
général Massenbach ont installé leurs batteries.
Les canons sont dissimulés par le brouillard, le rideau de
pluie, les nuages bas d’un gris-noir.
Le général Kellermann a exécuté l’ordre de Dumouriez. Il a
déployé ses troupes et ses pièces d’artillerie sur le plateau de Valmy, où se
dresse un moulin dont les ailes alourdies par la pluie tournent lentement.
« J’attends les Prussiens en Argonne, dit Dumouriez. Le
camp du Grandpré et celui des Islettes sont les Thermopyles, mais je serai plus
heureux que Léonidas. »
Il rassure par sa détermination, ses attentions au sort du
soldat, ces jeunes volontaires qui marchent et dorment sous la pluie.
« La nuit dernière, l’eau tomba par torrents, écrit l’un
d’eux. Le mauvais coutil des tentes qui seul nous séparait des nuages fut
bientôt traversé, commençant par tamiser l’eau, il ne tarda pas à former de
grosses gouttes qui se succédaient sans interruption, équivalant pour nous à je
ne sais combien de gouttières… »
On se console en pensant aux Prussiens.
Les paysans lorrains, qui craignent le retour des émigrés et
donc le rétablissement des droits seigneuriaux, les harcèlent, attaquent à
quelques-uns les soldats isolés, les voitures embourbées.
On dit aussi que la dysenterie, la « courée prussienne »,
ravage les troupes de Brunswick, et que leurs officiers sont amers.
Ils imaginaient que cette armée de gueux et de savetiers
allait se débander. Or, elle fait face.
Ils en veulent aux émigrés, qu’ils accusent de les avoir
trompés, et aux Autrichiens qui sont de vrais rivaux plutôt que des alliés.
Ils entendent chanter ces bataillons qui arborent cocardes
et drapeaux tricolores :
Ah ! ça ira ! ça ira ! ça ira !
Les aristocrates à la lanterne
Le despotisme expirera
La liberté triomphera
Ah ! ça ira ! ça ira ! ça
ira !
Nous n’avons plus ni nobles ni prêtres !
Ah ! ça ira ! ça ira ! ça
ira !
L’égalité partout régnera
L’esclave autrichien le suivra
Ah ! ça ira ! ça ira ! ça
ira !
Et leur infernale clique
Au diable s’envolera !
Chanter fait oublier la boue et la pluie, donne confiance.
On va vaincre.
« Je pense, écrit un soldat, que la guerre d’un peuple
qui veut être libre contre les tyrans ne peut durer longtemps car le peuple a
pour lui la
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