Le Peuple et le Roi
noient. Pendant trois jours la dévastation continue. Les soldats laissent
les émeutiers sortir chargés de butin. Les maisons de nombreux magistrats sont
saccagées du grenier à la cave.
Quand les bourgeois obtiennent des armes et rétablissent l’ordre,
on pend un des voleurs, mais on change tous les magistrats, on baisse le prix
du pain et de la viande.
Rien ne résiste à ces milliers d’hommes qui dans tout le
royaume sont poussés par « une grande peur », une soif de vengeance
et de révolte. Et qui, parce qu’ils ont pillé les arsenaux, disposent de dizaines
de milliers de fusils : en six mois, quatre cent mille armes seront
passées aux mains du peuple :
« Cet amour des armes est une épidémie du moment qu’il
faut, écrit un bourgeois breton, laisser s’atténuer. On veut croire aux
brigands et aux ennemis et il n’y a ni l’un ni l’autre. »
Mais c’est le temps des soupçons.
À Paris, à chaque pas dans la rue, « il faut décliner
son nom, déclarer sa profession, sa demeure et son vœu… On ne peut plus entrer
dans Paris ou en sortir sans être suspect de trahison ».
C’est le temps des violences et des vengeances. Meuniers et
marchands de grain sont pendus, décapités, massacrés.
Des patriotes, des hommes imprégnés de l’esprit des Lumières,
s’inquiètent.
Jacques Pierre Brissot, qui fut enfermé deux mois à la
Bastille en 1784 pour avoir écrit un pamphlet contre la reine, puis qui a gagné
les États-Unis en 1788 pour voir fonctionner un régime républicain et qui lance
un journal, Le Patriote français , écrit en août 1789 :
« Il existe une insubordination générale dans les
provinces, parce qu’elles ne sentent plus le frein du pouvoir exécutif. Quels
en étaient les ressorts ? Les intendants, les tribunaux, les soldats. Les
intendants ont disparu, les tribunaux sont muets, les soldats sont contre le
pouvoir exécutif et pour le peuple. La liberté n’est pas un aliment que tous
les estomacs puissent digérer sans préparation. »
Mirabeau, dans Le Courrier de Provence , ne peut
admettre comme certains le murmurent que « le despotisme valait mieux que
l’anarchie ».
C’est là, dit-il, un « principe faux, extravagant, détestable ».
Mais il ajoute :
« Qui ne le sait pas ? Le passage du mal au bien
est souvent plus terrible que le mal lui-même. L’insubordination du peuple
entraîne des excès affreux, en voulant adoucir ses maux il les augmente ; en
refusant de payer il s’appauvrit ; en suspendant ses travaux il prépare
une nouvelle famine. Tout cela est vrai, trivial même. »
Mais certains membres de l’Assemblée nationale sont amers, hostiles,
pessimistes pour l’avenir de la nation.
L’un dit qu’on vit depuis le 14 juillet sous le règne de la
terreur.
Un autre s’exclame : « Il n’y a plus de liberté, même
dans l’Assemblée nationale… La France se tait devant trente factieux. L’Assemblée
devient entre leurs mains un instrument passif qu’ils font servir à l’exécution
de leurs projets.
« Si on ne bâtit promptement une Constitution, cette
nation aimable, ce peuple sensible et loyal, deviendra une horde de cannibales
jusqu’à ce qu’elle ne soit plus qu’un vil troupeau d’esclaves. »
Mais comment résister à ces hommes dont certains, assure-t-on,
sont « animés » par une fureur qui surpasse celle des « Iroquois » ?
Ils s’emparent le 28 juillet de Foulon de Doué, qui a
soixante-quatorze ans. Les paysans l’ont débusqué, caché dans le fond d’une
glacière, dans un château à Viry. On lui a mis une botte de foin sur la tête – n’a-t-il
pas dit que le peuple s’il manquait de pain devrait manger de l’herbe ? –,
un collier de chardons au cou et de l’herbe plein la bouche.
On a arrêté son gendre, l’intendant Bertier de Sauvigny. On
les a, l’un puis l’autre, conduits à l’Hôtel de Ville.
Bailly et La Fayette ont supplié, pour que le jugement de
Foulon soit régulier, qu’on l’enferme dans la prison de l’Abbaye.
Un homme, « bien vêtu », s’écrie : « Qu’est-il
besoin de jugement pour un homme jugé depuis trente ans ? »
Le peuple hurle : « Point d’Abbaye, pendu, pendu, qu’il
descende. »
On l’arrache à la milice bourgeoise, on le pend, la corde
casse, on le pend de nouveau, puis on tranche sa tête, on la plante au sommet d’une
pique.
Bertier est massacré alors qu’il est à
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