Le Peuple et le Roi
Versailles – de s’enfuir , pour dire le mot juste –, de gagner
Metz ou Rouen. Et l’on profiterait alors de son départ, de ce qu’il ressent
comme un abandon de ses devoirs, de son peuple, pour prononcer sa déchéance au
bénéfice du dauphin et d’un lieutenant général.
Mais Louis chaque fois est tenté de céder, de répondre, en
partant, au vœu de la reine. Elle voudrait le convaincre de fuir, mais elle
restera auprès de lui, s’il demeure en France.
Et cependant, depuis le 25 septembre, elle voit, elle écoute
Axel Fersen, qui s’est installé à Versailles, et voudrait que Marie-Antoinette
échappe à ces poissardes, à ces « enragés du Palais-Royal » qui la
haïssent.
Mais Louis a confiance. Marie-Antoinette fera face, comme
lui. Et ce jeudi 1 er octobre 1789, Louis est satisfait. Il a tué
deux cerfs, dans les bois de Meudon. Et ce soir, les officiers des gardes du
corps ont invité à dîner les officiers du régiment de Flandre, et le banquet de
deux cent dix convives se tiendra dans la salle de l’Opéra du château.
Lorsque le roi, la reine et le dauphin paraissent dans leur
loge, on les acclame.
La reine porte le dauphin dans ses bras et, accompagnée du
roi, elle fait le tour de la longue table en fer à cheval.
On scande : « Vive le roi ! », « Vive
la reine ! », « Vive le dauphin ! »
On chante : « Ô Richard ! Ô mon roi l’univers
t’abandonne ! »
Plus tard, des officiers escaladent la loge royale. Puis, quand
la famille royale s’est retirée, les officiers se rassemblent dans la cour de
Marbre, au pied des appartements royaux. Deux ou trois d’entre eux grimpent
jusqu’au balcon doré.
« C’est ainsi, Sire, qu’on monte à l’assaut, nous nous
vouons à votre service seul », disent-ils.
Un officier crie : « À bas les cocardes de couleur,
que chacun prenne la noire, c’est la bonne ! »
Il s’agit de la cocarde autrichienne. La reine paraît
enchantée.
Le samedi 3 octobre, les officiers de la garde nationale
refusent l’invitation que leur lancent les officiers du régiment de Flandre. Le
dimanche 4, les dames de la Cour distribuent des cocardes blanches : « Conservez-la
bien, c’est la seule bonne, la triomphante. »
Et à ceux qui l’acceptent elles donnent leur main à baiser.
Les gardes nationaux rejettent l’offre.
La reine est heureuse, le regard plein de défi.
Louis se tait.
Comme Marie-Antoinette et les dames de la Cour, comme tous
ceux présents à ce banquet, il a été emporté par l’enthousiasme, l’ardeur des
officiers, leur ivresse, mais quand il a vu certains officiers, des gardes du
corps et du régiment de Flandre, arracher les cocardes tricolores et les fouler
aux pieds, crier « Foutre de l’Assemblée ! », il a été dégrisé.
Il a eu la certitude que le destin inexorablement venait une
nouvelle fois de les entraîner tous vers leur perte. Et qu’il ne lui restait
plus qu’à être fidèle à ses engagements sacrés de souverain, choisi par Dieu.
Dieu déciderait.
Et Louis s’est tu.
Il n’a pas été surpris, quand, dès le samedi 3 octobre, puis
le dimanche 4, on lui a rapporté qu’au Palais-Royal, dans les districts
parisiens des Corde-ers, du faubourg Saint-Antoine, la tempête s’était levée, pour
répondre aux défis du banquet.
On siégeait en permanence. Un jeune avocat, Danton, aux
Cordeliers, faisait voter que tout citoyen sous peine d’être accusé de trahison
envers la patrie devait porter la cocarde tricolore.
Il affirmait que « la patrie est dans la plus forte
crise », puisque Paris est affamé, que la Cour prépare la fuite du roi, que
le monarque refuse de sanctionner les arrêtés du 4 août, la Constitution et la
Déclaration des droits de l’homme et du citoyen.
Le journal de Loustalot, Les Révolutions de Paris, celui
de Desmoulins, Les Révolutions de France et de Brabant, et surtout L’Ami
du peuple de Marat, « qui a fait autant de bruit que les trompettes du
jugement dernier », appellent à la riposte.
Il faut marcher sur Versailles, exiger du roi qu’il approuve
les décrets, la Constitution, la Déclaration des droits de l’homme et du
citoyen.
Il faut désarmer le régiment de Flandre, les gardes du corps,
contraindre la famille royale à vivre sous la surveillance du peuple de Paris.
« Tous les citoyens doivent s’assembler en armes »,
écrit Marat.
« Ô Français ! Peuple libre et frivole,
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