Le Peuple et le Roi
on avait promis « qu’elle serait égorgée
et qu’on ferait des cocardes avec ses boyaux ».
Mais, puisqu’elle sera à Paris, on l’empêchera de nuire. Et
qu’elle regarde ces têtes coupées, celles de deux gardes du corps, brandies au
bout des piques, comme un emblème.
On les incline. On rit.
On s’est arrêté chez un perruquier de Sèvres pour les faire
poudrer et friser.
La famille royale s’installe aux Tuileries. L’Assemblée
siégera dans le bâtiment du Manège, tout proche de là.
Le 10 octobre, elle décrétera que Louis XVI ne s’appellera
plus « roi de France et de Navarre », mais « par la grâce de
Dieu et la loi constitutionnelle de l’État, roi des Français ».
Et un député du tiers état de Paris, le docteur Guillotin, propose
un nouveau mode d’exécution de la peine capitale, une machine efficace, qui
tranchera le cou des condamnés, selon le principe d’égalité.
Louis subit avec le double sentiment de ne pouvoir arrêter
la marche inexorable vers l’abîme, et la certitude qu’il ne faillira pas à ses
principes sacrés.
C’est sa fatalité, de paraître se soumettre, d’y être
contraint et d’être au fond de soi indestructible. Et d’ignorer la peur même
quand il cède à l’angoisse. Il observe les événements comme s’il n’en était que
le jouet et non l’acteur.
Il apprend que plus de cent députés donnent leur démission.
Il lit sous la plume de Mallet du Pan que « c’est le
fer à la main que l’opinion dicte aujourd’hui ses arrêts. Crois ou meurs ,
voilà l’anathème que prononcent les esprits ardents et ils le prononcent au nom
de la liberté. La modération est devenue crime ».
Il reçoit le comte de La Marck, qui propose au nom de
Mirabeau un projet de fuite à Rouen, car « Paris sera bientôt un hôpital
certainement et peut-être un théâtre d’horreurs ».
Mirabeau veut persuader « le roi et la reine que la
France et eux sont perdus si la famille royale ne sort pas de Paris ».
« Je m’occupe d’un plan pour les en faire sortir »,
ajoute Mirabeau.
Mais Louis ne veut pas être « un roi fugitif ».
Il partage le sentiment du député Malouet : « La
révolution depuis le 5 octobre fait horreur à tous les gens sensés de tous les
partis, mais elle est consommée, irrésistible. »
Alors, comment s’y opposer ?
Louis sait que certains l’accusent de ne pas se battre. Il
accepte qu’on porte sur lui ce jugement sévère.
Il connaît celui de Mirabeau qui le décrit « indécis et
faible, au-delà de tout ce qu’on peut dire, son caractère ressemble à ces
boules d’ivoire huilées qu’on s’efforcerait vainement de retenir ensemble ».
Ceux-là, qui le jugent, ignorent ce qu’il ressent.
L’horreur, quand il a appris que les émeutiers qui ont
pénétré dans la chambre de la reine se sont acharnés sur son lit, « déchirant
les draps à coups d’épée » et, ajoute un témoin, « quelques-uns pissèrent
dedans, d’autres firent pis encore ».
Ce déferlement de haine accable Louis, mais ceux qui le
jugent ne se fient qu’aux apparences. Ils ignorent qu’il n’est pas homme à
plier.
Le 12 octobre, il confie à l’abbé de Fontbrune une lettre
pour le roi d’Espagne.
Il a écrit :
« Je me dois à moi-même, je dois à mes enfants, je dois
à ma famille et à toute ma maison de ne pouvoir laisser avilir entre mes mains
la dignité royale qu’une longue suite de siècles a confirmée dans ma dynastie…
« J’ai choisi Votre Majesté, comme chef de la seconde
branche pour déposer en vos mains la protestation solennelle que j’élève contre
tous les actes contraires à l’autorité royale, qui m’ont été arrachés par la
force depuis le 15 juillet de cette année, et, en même temps, pour accomplir
les promesses que j’ai faites par mes déclarations du 23 juin précédent. »
Dieu et les hommes, quoi qu’il advienne, entendront un jour
sa protestation, son refus.
QUATRIÈME PARTIE
Octobre
1789-30 septembre 1791
« Bougre de Capet ! »
« Sire, ne vous flattez pas de donner le change
aux patriotes clairvoyants. Vous ne pouvez être à leurs yeux que ce que sont
les despotes. La sottise des rois est de se croire des êtres d’une nature
supérieure à celle des autres hommes, ils ont même la folie de prétendre que le
ciel les a faits pour commander… »
Jean-Paul Marat
L’Ami du
peuple, décembre
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