Le Peuple et le Roi
sont à la solde des aristocrates, assure-t-on.
Ils veulent placer une machine infernale. On les frappe. On les pend. On
tranche leurs cous. On plante leurs têtes au bout des piques. Maillard, le
commandant des « vainqueurs de la Bastille », et le peintre David
sont là, parmi la foule qui peu à peu se réduit à quelque quatre ou cinq mille
personnes.
Elles narguent les bataillons de La Fayette qui avancent, malgré
une grêle de cailloux lancés par la foule qui crie : « À bas le
drapeau rouge ! », « À bas les baïonnettes ! ».
Les drapeaux rouges sont déployés.
Les soldats tirent une première salve en l’air, puis font
feu sur la foule que chargent les cavaliers.
La fusillade continue de crépiter.
Les gardes nationaux poursuivent les fuyards, hors du
Champ-de-Mars, « dans les jardins, les gazons, les prairies alentour, la
baïonnette dans les reins, et tuent bon nombre de femmes, d’enfants, de
vieillards ».
« On compte douze à quinze cents morts par la balle et
la baïonnette », dit la rumeur.
Ils ne seront pas cent.
Mais la Seine coule comme un flot de sang.
Elle sépare modérés et républicains.
La Fayette et Bailly ne sont plus pour le peuple que des « massacreurs ».
Et les gardes nationaux qui ont tué ont exprimé leur volonté
d’en finir avec les désordres, les émeutes, les pillages, les assassinats, les
têtes au bout des piques.
Chez les « patriotes », on craint la répression. Danton
se réfugie chez sa mère à Arcis-sur-Aube puis passe en Angleterre, Desmoulins
et Marat se cachent. On brise les presses de L’Ami du peuple. Les
Révolutions de France et de Brabant cessent de paraître.
Robespierre ne rentre pas chez lui rue de Saintonge, mais
couche plusieurs nuits chez son ami le menuisier Duplay qui possède une maison
rue Saint-Honoré.
Il craint une « Saint-Barthélemy des patriotes ».
Car le drapeau rouge de la loi martiale restera suspendu sur
la façade de l’Hôtel de Ville jusqu’au 25 juillet.
« J’ai le cœur navré de chagrin de voir les choses
tournées ainsi, écrit le 26 juillet le libraire Ruault… Ainsi nous allons voir,
et nous avons déjà, deux opinions politiques entre lesquelles les Français vont
se partager… Je perçois le malheur sans fin si la division commencée la semaine
dernière continue plus longtemps… »
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Qui l’emportera de ces « deux opinions politiques entre
lesquelles les Français se partagent », en cet été brûlant de 1791 ?
Louis, qui supporte de plus en plus mal son enfermement – son
« emprisonnement », disent les royalistes -dans les appartements
royaux des Tuileries, observe, écoute, lit.
Il est prudent, incertain.
Il n’ose croire que le silence auquel sont contraints les « patriotes
exaltés », Marat, Hébert, Desmoulins, Danton, dont les journaux ne
paraissent plus, puisse durer et que l’Assemblée nationale persiste, aggrave
les mesures, les décrets qu’elle a pris.
Au lendemain de la fusillade du Champ-de-Mars, elle a décidé
que tous ceux qui tenteraient de renouveler un pareil rassemblement et de faire
de nouvelles pétitions contre le roi seraient condamnés aux fers !
Elle a fait placarder dans les rues et aux carrefours le
texte du discours de Charles Lameth, président de l’Assemblée, qui annonçait
que tous ceux qui critiqueraient La Fayette, parce qu’il avait appliqué la loi
martiale, seraient poursuivis.
Louis s’étonne de la rapidité avec laquelle la majorité du
parti patriote a changé d’attitude.
Qui aurait pu croire, le mois dernier, que Lameth, Duport, Barnave,
tous ces fauteurs de révolution, en soient à se rapprocher de Malouet, des
royalistes, et même de l’abbé Maury ou de l’abbé Royou et de son Ami du roi ?
Il sait que Marie-Antoinette écrit à Lameth et à Barnave, qu’ils
lui conseillent d’approuver la Constitution, telle que l’Assemblée va la
réviser.
Le texte confiera au roi des pouvoirs importants. Il
marquera que la révolution est achevée. La France reste un royaume, changé de
fond en comble, certes, et c’est l’œuvre gigantesque accomplie en deux ans par
l’Assemblée nationale « constituante », mais la nation va retrouver l’ordre,
la paix, la sûreté des personnes et des propriétés.
Les électeurs et les élus devront être des citoyens actifs, et
les élus seront choisis parmi les plus riches d’entre eux, parce qu’on est d’autant
plus soucieux
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