Le Peuple et le Roi
Lameth, La
Fayette et même Sieyès, de ceux qui s’opposent aux « patriotes exaltés »,
à ces « tigres ».
Et Louis, chaque jour depuis son retour aux Tuileries, entend
ces « bêtes fauves » hurler des injures.
Ils sont derrière les grilles. Ils se rassemblent place
Louis-XV. Les gardes nationaux ne peuvent, ou ne veulent pas, les repousser, les
disperser, les faire taire.
Et lorsque, à la fin de la journée, Louis s’approche d’une
fenêtre, pour profiter de la fraîcheur de la brise, les insultes fusent, hurlées.
« Imbécile », « Cochon », « Perfide »,
« Lâche ».
On menace de le saigner, de le dépecer, de lui dévorer le
cœur.
Et lorsque la reine s’approche, les hurlements redoublent
contre « la putain Toinon, l’Autrichienne, qu’il faudra fouetter, écorcher ».
On veut les juger. On crie que la nation n’a pas besoin d’un
roi. Et parfois jaillit le mot de république .
« Le peuple est furieux, note un témoin, depuis l’Assemblée
nationale même, jusque dans les derniers cafés : cela ressemble à ces
vents qui frisent la terre, une heure avant l’ouragan dévastateur. »
Qui le déchaînera ? Louis lit avec attention les propos
de ce Jacobin, Maximilien Robespierre, qui dès le dimanche 26 juin a réclamé qu’un
tribunal soit chargé d’entendre les deux souverains :
« La reine n’est qu’une citoyenne, a-t-il dit, et le
roi en qualité de premier fonctionnaire du royaume est soumis aux lois. »
Habile et prudent, ce Robespierre !
Il laisse Danton, Laclos, Camille Desmoulins évoquer la
République, ou bien un « moyen constitutionnel » permettant de
remplacer Louis XVI – et chacun comprend qu’ils pensent à un régent, qui serait
Philippe d’Orléans –, mais Robespierre ne se prononce pas. Il dit seulement que
si le roi est inviolable, le peuple l’est aussi. Qu’on doit donc interroger le
roi, et la citoyenne Marie-Antoinette.
Louis n’a jamais relevé une injure dans la bouche de
Robespierre. C’est Pétion qui dit que le roi est un « monstre » et un
autre député, Vadier, qui lance un « brigand couronné ».
Robespierre ne signe pas la pétition des cordeliers qui
réclament la « déchéance du Roi ».
Il ne participe ni à la manifestation de trente mille
ouvriers qui se réunissent place Vendôme, le 24 juin, ni à ce grand
rassemblement devant l’Assemblée, rue Saint-Honoré, en faveur de la déchéance
du roi, mais aussi contre toute idée de remplacement du Bourbon par un Orléans,
et contre l’institution d’une régence.
« Plus de monarchie », « plus de tyran »,
crie-t-on.
Et Robespierre ne suit pas Condorcet ou l’écrivain américain
Thomas Paine qui s’affirment républicains.
Louis observe. Il médite les propos de Barnave, qui
conseille la reine, répète qu’une majorité de députés va se prononcer contre la
déchéance, que l’Assemblée est prête à mettre fin à la suspension du roi dès
lors qu’il approuverait la Constitution.
Et cependant, Louis est inquiet. L’Assemblée décide de
recruter mille volontaires nationaux, qui formeront une armée fidèle à la
Constitution. Et les soldats éliront leurs sous-officiers et leurs officiers.
Il faut aussi assister à ce défilé d’un cortège qui
accompagne les cendres de Voltaire qu’on transfère au Panthéon.
Et Louis est assis, jambes croisées devant sa fenêtre, pour
le regarder passer sur le Pont-Royal. Puis le cortège s’immobilise devant le
pavillon de Flore plus de trois quarts d’heure. Marie-Antoinette entre dans la
chambre et fait fermer les stores !
Mais on entend chanter :
Peuple réveille-toi, romps les fers
Remonte à ta grandeur première
La Liberté t’appelle
Tu naquis pour elle
…
L’affreux esclavage
Flétrit le courage
Mais la liberté
Relève sa grandeur et nourrit sa fierté
Liberté, liberté !
Louis s’efforce d’accepter tout cela placidement.
Il faut laisser la révolution s’étendre comme un fleuve en
crue, qu’il ne sert à rien de vouloir endiguer, mais qui un jour s’asséchera, rentrera
dans son lit.
Et c’est la tentative de fuite, la nuit passée à
Varennes-en-Argonne, qui lui donnent cette sagesse.
C’est le mouvement du fleuve lui-même qui rendra toute sa
place à la monarchie. Alors, peu importe que l’Assemblée prenne des mesures
contre les émigrés, triplant l’imposition sur leurs biens s’ils ne rentrent pas
dans
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