Le Peuple et le Roi
les deux mois, ou bien qu’on célèbre, au Champ-de-Mars, le deuxième anniversaire
de la prise de la Bastille, en grande pompe, et par grand soleil. Et l’évêque
de Paris dit la messe sur l’autel de la Patrie, et entonne un Te Deum .
Et c’est sur cet autel que les Cordeliers veulent déposer
une pétition, pour la déchéance, le 17 juillet. Ils ont déjà recueilli six
mille signatures.
Mais ils sont dans l’illégalité, puisque l’Assemblée
souveraine a refusé de voter la déchéance du roi, et au contraire l’a innocenté.
C’est Barnave qui, le 15 juillet, a emporté la décision, dans
un grand discours où l’homme qui a ouvert à
Grenoble et à Vizille, en 1788, la période révolutionnaire
souligne les dangers de continuer la révolution.
« Ce que je crains, dit Barnave, c’est notre force, nos
agitations, c’est le prolongement indéfini de notre fièvre révolutionnaire. Allons-nous
terminer la révolution ? Allons-nous la recommencer ? Si la révolution
fait un pas de plus elle ne peut le faire sans danger ; c’est que dans la
ligne de la liberté, le premier acte qui pourrait suivre serait l’anéantissement
de la royauté ; c’est que dans la ligne de l’égalité, le premier acte qui
pourrait suivre serait l’attentat à la propriété… Pour ceux qui voudraient
aller plus loin, quelle nuit du 4 août reste-t-il à faire, si ce n’est des lois
contre les propriétés ? »
C’est comme si le fleuve de la Révolution se divisait en
deux courants.
L’un veut fixer la Révolution.
L’autre veut se laisser porter par le fleuve, et au bout il
y a, en effet, les « partageux », qui veulent – et leurs voix se sont
déjà fait entendre –, au-delà du roi, s’en prendre aux riches, aux propriétés.
Et Louis mesure qu’il est aux yeux d’un Barnave, d’un La
Fayette, d’un Duport et d’un Sieyès, un rempart.
Et un obstacle pour les autres, Marat, Maréchal, Hanriot, et
ce Gracchus Babeuf, un Picard qui rêve au partage des terres, comme ce jeune
Saint-Just.
Et les Cordeliers, avec l’imprimeur Momoro, le poète Fabre d’Églantine,
maintiennent, en dépit des décisions de l’Assemblée, leur décision de déposer
leur pétition sur l’autel de la Patrie, au Champ-de-Mars, le 17 juillet.
Tension au club des Jacobins.
Maximilien Robespierre, prudemment, se tait.
Il craint l’« illégalité », les mesures de force
que l’Assemblée peut décider.
Il met en garde contre les dangers d’une pétition, mais il
dit aussi :
« Le moment du danger n’est pas celui de la
pusillanimité… Je suis prêt à mourir pour le salut du peuple sensible et
généreux. »
Et une partie des Jacobins se rallie à la pétition.
C’en est trop pour Barnave, La Fayette, Duport, Lameth.
Ils quittent la séance, le club des Jacobins. Ils décident
de créer non loin de là, dans le couvent des Feuillants, toujours rue
Saint-Honoré, un autre club, « modéré », celui des Feuillants.
Le parti des patriotes s’est bien déchiré.
Le 16 juillet, les Cordeliers, les Jacobins, s’en vont
déposer une pétition sur l’autel de la Patrie.
Elle déclare le décret de l’Assemblée « contraire au
vœu du peuple souverain », demande le « jugement d’un roi coupable »
et le « remplacement et l’organisation d’un nouveau pouvoir exécutif ».
Et ils appellent le peuple à venir signer la pétition, demain 17 juillet, un
dimanche.
On devait se réunir place de la Bastille et se rendre en
cortège au Champ-de-Mars.
Mais les gardes nationaux sont là, qui empêchent le
rassemblement. On dit que Bailly et la municipalité ont décidé d’empêcher tout
rassemblement et de faire appliquer la loi martiale.
Les bataillons de la garde nationale, soldés et volontaires
bourgeois, sont sous les armes, avec leurs drapeaux rouges, qu’on arbore aussi
aux fenêtres de l’Hôtel de Ville.
Mais les dix mille pétitionnaires, parmi lesquels de
nombreuses femmes avec enfants, qui se retrouvent au Champ-de-Mars où ils se
sont rendus par petits groupes ne peuvent imaginer que la garde nationale
tirera sur eux, même quand ils la voient arriver, avec ses fusils, ses
baïonnettes et des canons.
La tension monte cependant.
On découvre, sous l’estrade de l’autel de la Patrie, deux
hommes qui assurent qu’ils voulaient percer des trous dans les planches pour
voir les jambes et les culs des femmes.
On ne les écoute pas. Ils
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