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Le piège de Dante

Le piège de Dante

Titel: Le piège de Dante Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Arnaud Delalande
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avant de s’écraser tout à fait contre le sol. Dans le même temps, Pietro avait pivoté sur sa gauche pour user de son second pistolet. Un autre chien tomba, puis se remit sur ses pattes en claudiquant; il n’était que blessé, une lueur de fureur aveugle passa dans ses yeux étincelants, mais il continuait de se traîner en avant. Pietro laissa choir ses armes à feu, tandis que deux soldats faisaient irruption dans la Libreria en poussant des exclamations. Les pistolets tombèrent de part et d’autre des flancs de Pietro, sur le tapis, tandis qu'il dégainait son épée. L'un des chiens de la meute bondit à cet instant, prêt à lui déchirer la gorge. Pietro le reçut du bout de l’épée : le chien fut traversé de part en part et Viravolta accompagna sa chute sur le sol. Les deux soldats avaient pris place à ses côtés et, à leur tour, au milieu des gargouillis d’agonie des bêtes enragées, firent place nette. L'alerte était donnée, l'escouade convergea vers la Libreria . Le visage de Landretto apparut dans l’encadrement de la porte. Il s’enquit aussitôt de l’état de Pietro.
    Celui-ci s’était à présent avancé vers le fond de la bibliothèque. Il découvrit alors le corps d’Andreas Vicario.
    Ses habits noirs étaient déchiquetés et maculés de sang. Ici et là, les truffes humides et les mâchoires acérées des chiens avaient dégarni des os, sous des lambeaux de chair. Pietro, accroupi, une main sur le genou, murmura :
    — Dissipateurs, déchirés par des chiennes...
    Landretto l’avait rejoint.
    — Que dites-vous ?
    Pietro releva les yeux. Il serra les dents.
    — Les Violents, Landretto... Les suicidés changés en arbres, qui se parlent et se lamentent ; les dissipateurs, déchirés par des chiennes, dans le deuxième giron... Ils côtoient les sodomites, les ennemis de Dieu et de l’art...
    — Vous voulez dire que...
    Pietro contempla une nouvelle fois le cadavre.
    — Une fois de plus, la chose était préméditée. De toute évidence, Vicario n’était qu’un complice devenu gênant... Il a été floué, trahi par son propre parti. Sans doute devenait-il lui aussi un danger... Peut-être a-t-on su qu’il avait été démasqué... Mais comment? Landretto... y aurait-il un autre traître parmi nos rangs? Un autre informateur?
    Viravolta et le valet échangèrent un long regard.
    — Retourne avec Anna, dit Viravolta, et ne la quitte plus des yeux une seconde. Nous nous reverrons lorsque tout sera terminé.
    Le groupe de soldats s'approcha. L'un d'eux, découvrant le corps, porta deux doigts à son nez avec une mimique de dégoût.
    Andreas Vicario, dit Minos, juge des Enfers et bras droit de Lucifer, avait quitté la scène, exterminé par les siens.

CHANT XX
    Le Minotaure
    Le Carnaval de Venise remontait au X e siècle ; il avait fini par s’étendre sur six mois de l’année : du premier dimanche d’octobre au 15 décembre, puis de l’Epiphanie au Carême; enfin, la Sensa , l’Ascension, le voyait refleurir. Venise tout entière bruissait de ces préparatifs. Les Dix, qui resteraient Neuf tant qu’Emilio ne serait pas remplacé, avaient donc l’impossible tâche de contrôler et de surveiller l’ensemble des festivités, avec le secours des Quarantie et du commandant en chef de l’Arsenal. Comme chaque année, la gestion des manifestations publiques était déléguée aux officiers des Rason Vecchie , l’organe de vérification des comptes et de l’utilisation des deniers de l’Etat. Plus que jamais, les officiers de la Criminale comme les magistrats avaient reçu la consigne de veiller à la stricte observance des règles de sécurité. Aucun déguisement, en particulier celui de soldat, ne pouvait servir de prétexte à la détention illégale d’armes dangereuses, y compris les bâtons, masses, cannes ou piques. Les agents du gouvernement, également déguisés et disséminés partout dans la ville, faisaient exception. Mais que vaudraient-ils face à l’affluence de plusieurs dizaines de milliers de personnes, toutes anonymes ? De son côté, l’Arsenal avait mis plusieurs bâtiments en alerte, prêts à sillonner la lagune, à la pointe de la Giudecca, aux abords de Murano, Burano et San Michele ; des vaisseaux légers croisaient plus au large et organisaient des patrouilles de reconnaissance.
    Sur terre comme sur mer, Venise fourmillait d’activité. Le moment était venu, celui de toutes les euphories, de toutes les libérations, celui où

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