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Le piège de Dante

Le piège de Dante

Titel: Le piège de Dante Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Arnaud Delalande
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la broche de Luciana Saliestri, ou de la personne du sénateur Giovanni Campioni. Sans doute Emilio avait-il préféré que son émissaire l’apprenne par l’entremise de Brozzi, plutôt que de consigner des noms par écrit dans son compte rendu. On n’était jamais trop prudent. Surtout si, en effet, se trouvaient impliqués des personnages intervenant eux-mêmes au plus haut sommet de l’Etat...
    En tout cas, pensa Pietro, tout cela ne me dit rien de bon...
    Une chose était sûre : le meurtre se trouvait soudain éclairé d’une lumière bien différente. Pietro songea de nouveau aux réflexions qu’il s’était faites au sujet de Marcello, à partir des détails consignés dans le rapport. Il comprenait mieux, à présent, ce que le péché pouvait signifier aux yeux de Marcello, et en quoi sa crainte éventuelle d’un céleste jugement avait pu influer sur son tempérament – tantôt pour épauler, tantôt pour contrebattre ses vues artistiques. Sa double identité ne l’avait sans doute pas épargné. L'Arlequin, un comédien. Tout cela prenait un relief nouveau. Pour servir la juste cause de la République, il avait dû vivre en secret ce que sa vie d’acteur lui permettait de crier sur les planches – mais, selon cette classique et éphémère procuration, dans les atours d’existences volées, pour lesquelles il ne bénéficiait que d’une illusoire rédemption. C'était sans doute cette faille que le Conseil des Dix, non sans clairvoyance d’ailleurs, avait voulu exploiter en recrutant Marcello parmi les rangs de ses informateurs... Ce faisant, Marcello s’était condamné à oeuvrer en silence pour le bien commun ; mais ce choix même avait dû impliquer, du point de vue moral, les pires renoncements. Car après tout, il n’était devenu que l’un des grouillots de la Sérénissime, de la même façon que Pietro. Qui avait-il dénoncé, trahi? Lui était-il arrivé de tuer? Avait-il eu du sang sur les mains ?... Pietro ne faisait qu’entrevoir le désarroi étrange qui avait dû habiter Marcello, partagé entre les deux faces de Janus, dans ses moments d’angoisse. Acteur et agent de la République : une mise en abyme. Cela n’était pas si inattendu.
    Viravolta redescendit de l’estrade. Goldoni s’était assis, les mains entre les jambes, effondré.
    — Je crois que, cette fois, c’est trop pour moi, disait-il. Je devais aller à Parme depuis quelque temps, je pense que le moment est venu.
    — Carlo ! disait Vendramin. Et le Carnaval ? Non, c’est hors de question. Tu m’avais promis trois pièces encore; nous devrons les faire jouer comme il était convenu. La saison d’automne a été bonne, grâce à toi. Enfin, nous parvenons à faire ce dont tous deux nous avons toujours rêvé. Il n’est pas temps de renoncer! Si ce triste épisode demeure secret, comme je l’espère, le public n’aura pas à jaser de ce qui s’est passé dans nos murs. Si seulement nous savions ce qui est arrivé, je...
    — Messer Goldoni, il est hors de question de quitter Venise pour le moment, dit Pietro. Pour les besoins de l’enquête, vous devez rester dans la lagune. Il me faut interroger dans les plus brefs délais tous les membres de la troupe; j’ajoute à cela les librettistes et les musiciens d’orchestre, les chorégraphes et scénographes, les chanteurs, les danseurs et les danseuses. En somme, tout le personnel du San Luca.
    — Mais alors... la chose va devenir publique... s’écria Vendramin. Ce n’est pas bon pour les affaires, tout cela !
    — Il faudra bien expliquer la disparition de Marcello, de toute façon. Rassurez-vous : tous ne sauront que ce qu’ils ont à savoir, et rien de plus. Il est hors de question de s’attarder sur les détails de ce crime ignoble, sauf à ma requête expresse – je gage que vous en serez d’accord ?
    Vendramin et Goldoni opinèrent du chef. Pietro se tourna une fois de plus vers la dépouille mise en croix.
    — Encore une question...
    — Oui ? dit Goldoni.
    — Je crois savoir que Marcello était d’un tempérament assez religieux...
    Le dramaturge acquiesça.
    — Oui... Bien peu des nôtres rendent à Dieu les devoirs qu’ils devraient, cela est certain. Marcello, malgré sa vie légère et mouvementée, n’était pas à ce paradoxe près : il se rendait chaque semaine à San Giorgio Maggiore.
    Pietro fronça les sourcils et resta pensif quelques instants. L'espion rendait-il vraiment chaque semaine ses devoirs au Christ

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