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Le piège de Dante

Le piège de Dante

Titel: Le piège de Dante Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Arnaud Delalande
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sa véritable passion, le théâtre, bien décidé à dépoussiérer les emplois traditionnels des fifres de la commedia dell’arte ; Venise, sa ville d’origine, l’avait sacré roi de la comédie. Depuis trois ans, il était sous contrat avec les frères Vendramin. On parlait de lui dans les plus prestigieuses cours d’Europe.
    — Je suis Carlo Goldoni.
    Pietro sourit. Il se souvenait à présent. Il avait assisté à plusieurs représentations de ses oeuvres. Il avait encore à l’esprit Le Chevalier Joconde et La Manie de la campagne , et avait même appris quelques tirades par coeur. Prompt à saisir toutes les occasions d’entamer quelque conversation sur les arts, il aurait aimé s’entretenir davantage avec ce brillant dramaturge ; mais le troisième homme, s’avançant à son tour, lui rappela que le temps lui était compté. Celui-là, à la barbe grise, était vêtu d’une robe sombre, à collerette blanche. Il tenait en main une sacoche à demi ouverte, d’où dépassaient un caducée et divers instruments chirurgicaux.
    — Je suis Antonio Brozzi, médecin délégué par la Quarantia Criminale.
    Ce fut à cet instant seulement que Pietro perçut l’odeur. Cette odeur immonde, de sang et de putréfaction, qui monta soudain à ses narines, le submergeant à mesure qu’il cherchait à en détecter la provenance. Il se tourna vers les rideaux cramoisis.
    — Préparez-vous à ce que vous allez voir, Messer , continua Brozzi. Nous avons tous deux du travail. Il était temps que vous arriviez.
    Il fit signe à Vendramin, qui lui-même adressa un sifflet en direction des coulisses. Pietro vit une ombre qui tirait à présent les pans des immenses rideaux.
    Oh, Seigneur.
    Le spectacle venait de se dévoiler à lui dans toute son horreur.
    Un homme – était-ce encore un homme ? – se trouvait devant lui, en plein milieu de la scène. Il vit d’abord ses pieds suspendus dans le vide, au-dessus d’une mare de sang séché, qui recouvrait bien le quart de l’estrade et avait dû se répandre à longs jets continus. Les deux pieds avaient été cloués sur une planche de bois. Les lèvres serrées, Pietro releva un instant son cache-oeil noir. Son regard remonta. La dépouille était totalement nue. Une entaille profonde lacérait son flanc. Lentement, Pietro prit conscience de l’ensemble du tableau. Marcello Torretone avait été crucifié. Les bras écartés, cloués eux aussi. De part et d’autre de son corps, deux voiles diaphanes et lacérés s’agitaient doucement, reliés par des cordes aux mécanismes des machineries dissimulées sous les plafonds. Ils faisaient pendant à d’autres rideaux pourpres, comme ouverts sur cette vision tragique. Une scène dans la scène. Spectaculaire et douloureuse. Pietro eut du mal à retenir un cri de dégoût à mesure qu’il détaillait ce cadavre bleui. On l’avait affublé d’une couronne d’épines – mais il y avait autre chose... Les yeux avaient été arrachés de leurs orbites. La bouche de Marcello était figée dans un spasme effroyable. A ses pieds, des éclats de verre épars, mélangés au sang. Sur son torse, courait une inscription, que l’on avait taillée avec un couteau dans la chair à vif. De l’endroit où il se trouvait, Pietro ne pouvait pas lire ces formules avec exactitude.
    Après un instant, il se décida à monter prestement sur l’estrade, tandis que le médecin mandaté par la Quarantia Criminale la contournait pour prendre les marches qui se trouvaient dans l’angle de la scène, et le rejoindre auprès du cadavre.
    — A quelle heure est-il mort ? demanda Pietro à Goldoni et Vendramin.
    — Cela, c’est au Sier Brozzi de nous le dire, répondit Vendramin. Nous avons donné une représentation hier soir...
    — Oui, c’était la première de L'Impresario di Smirne , dit Goldoni. Une comédie en trois actes et en prose. Marcello, paix à son âme, incarnait... Ali, un négociant qui, venu d’Orient, se rend pour affaires à Venise et se met en tête de faire de l’opéra...
    Brozzi venait d’ouvrir en grand sa sacoche et commençait à tourner autour du mort. Pietro s’approcha du torse lacéré et parvint à lire :
    Io ero nuovo in questo stato,
    Quando ci vidi venire un possente,
    Con segno di vittoria coronato.
    J’étais nouveau dans cet état
    Quand je vis venir un puissant,
    Que couronnait un signe de victoire...
    L'inscription avait retourné les chairs et laissait deviner çà et là le renflement

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