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Le Pont de Buena Vista

Le Pont de Buena Vista

Titel: Le Pont de Buena Vista Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Denuzière
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lady Ottilia a peur d'entrer dans un lit conjugal, ajouta Carver.
     
    – D'après ce que m'a appris Malcolm Murray, les frasques sont une manière, pour cette belle, de montrer son indépendance d'esprit, son refus d'une société dont elle connaît le pharisaïsme et les bonnes manières patelines. Peut-être est-ce aussi une façon de donner libre cours à sa nature généreuse ? Son engagement aux côtés des féministes, des Bloomers , son antiesclavagisme militant prouvent des qualités de cœur, non ? C'est une personnalité complexe, mais non déplaisante, exposa Charles.
     
    – Certes, la fille de Simon n'a pas que d'irritants défauts. On lui pardonne ses frasques, ses fantaisies imprévisibles, ses engouements douteux, parce qu'elle appartient à cette catégorie des riches héritières, jolies et bien nées, dont on sait qu'un jour ou l'autre elles rentreront dans le rang et feront des épouses peut-être difficiles, mais bonnes maîtresses de maison et mères attentionnées, dit le major comme la voiture s'arrêtait devant le perron de Cornfield Manor.
     
    Le dîner, auquel se joignit Malcolm Murray, dont les plans du nouvel hôpital avaient été approuvés par son oncle, fut des plus gai, et gaillardement arrosé. C'est au salon, à l'heure du porto et des cigares, que lord Simon fit part à ses invités des dernières informations touchant ce qu'il nommait les affaires cubaines, dont Charles savait qu'il souhaitait se dégager.
     
    – J'avais été informé confidentiellement, l'an dernier, par un ami bien placé à Washington, que le 15 octobre 1854 s'étaient réunis secrètement, d'abord à Aix-la-Chapelle, et, quelques jours plus tard, à Ostende, à la demande du secrétaire d'État américain William M. Marcy, trois représentants des États-Unis en Europe : James Buchanan, ambassadeur à Londres, Pierre Soulé, ambassadeur à Madrid, et John Y. Mason, ambassadeur à Paris. Ces messieurs étaient chargés de mettre au point le document rendu public en mars dernier sous le titre de Manifeste d'Ostende. Les journaux américains et The Nassau Guardian viennent de le publier. Il annonce que les États-Unis offrent cent trente millions de dollars à l'Espagne pour l'acquisition de l'île de Cuba. Il précise aussi que la cession de Cuba aux États-Unis s'impose, et que le gouvernement de Washington serait désolé d'avoir à user de la force pour obtenir ce qu'on refuserait de lui vendre. Les ambassadeurs ont naturellement communiqué cette proposition aux gouvernements de Paris, Londres et, bien sûr, Madrid.
     
    – Ne trouvez-vous pas que cette offre a un assez déplaisant relent de chantage ? C'est presque un ultimatum ! s'indigna Murray.
     
    – Je suis de votre avis, dit le major.
     
    – Risque-t-on une guerre entre les États-Unis et l'Espagne ? demanda Charles.
     
    – Tout est possible, et j'ai décidé de mettre en vente ma plantation de Limonar avant qu'elle ne trouve plus acquéreur si le conflit se déclenche ou que se développe à La Havane une révolte des créoles – il y a déjà eu des escarmouches avec les soldats espagnols –, qui réclament aux autorités des réformes administratives et même politiques, annonça le lord.
     
    – Simon agit bien. Car, par le commandant d'une frégate anglaise qui a fait escale chez nous, j'ai su que les Cubains et les Espagnols sont sur le qui-vive. Le 3 février de cette année, le bruit a couru à Cuba qu'une expédition américaine, forte de cinq mille hommes, était en route pour La Havane. Le capitaine général de La Concha, gouverneur de Cuba, a aussitôt annulé un bal et décrété l'état de siège, ce qui a motivé l'envoi à La Havane de cette frégate et d'un brick de la flotte britannique de la Jamaïque, ajouta le major.
     
    – Mais il ne s'est rien passé, puisque les navires anglais ont regagné leur base, remarqua Murray.
     
    – Il paraît que les bateaux espagnols stationnés à La Havane étant sortis pour aller à la rencontre des Américains, ces derniers ont renoncé à s'approcher de l'île. La fanfaronnade aurait donc réussi. Mais les Espagnols craignent toujours des débarquements clandestins sur l'île, et la police redouble de vigilance vis-à-vis des étrangers.
     
    – Le notaire de La Havane que j'ai chargé de vendre ma plantation et ma sucrerie de Limonar m'a rendu visite il y a trois jours. Il m'a raconté que, pendant l'alerte, motivée ou non par une prétendue

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