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Le Pont de Buena Vista

Le Pont de Buena Vista

Titel: Le Pont de Buena Vista Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Denuzière
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expédition américaine, il accueillait avec quelques amis le célèbre naturaliste suisse, M. Henri de Saussure, petit-fils de cet Horace Bénédict de Saussure qui, après le docteur Paccard et le guide Jacques Balmat, escalada le mont Blanc en 1787. Le savant suisse, qu'accompagnaient plusieurs compatriotes, dont le fameux naturaliste vaudois M. François Sumichrast, a été scandalisé par le sort des esclaves noirs. Alors que M. de Saussure revenait de visiter une plantation des environs de Matanzas dont le propriétaire vit en France, mon notaire, abolitionniste déclaré, lui a demandé ce qu'un citoyen suisse pensait du travail servile. Pour toute réponse, l'Helvète mit sous les yeux de son hôte le passage d'une lettre destinée à l'un de ses amis genevois, texte que le notaire a noté : « Rien au monde n'est plus triste que de voir quatre cents nègres travailler sous le fouet d'un certain nombre de Blancs. Point de chants, point de gaieté, seulement un travail lent et machinal. Ici le nègre n'est qu'une bête de somme qu'on fait aller jusqu'à ce qu'il crève, et tout cela pour enrichir un particulier qui vit à Paris 4 . » « Vous savez maintenant ce que j'en pense », dit le Suisse.
     
    – Ce que pensent aussi tous ceux qui veulent l'abolition de l'esclavage ! commenta Murray.
     
    – Mais, à Cuba, certains abolitionnistes manquent par trop de sincérité. Ainsi des planteurs, des sucriers et des producteurs de tabac, dont une famille alliée aux Bourbons d'Espagne, des gens que je connais et qui investissent dans l'immobilier et la banque à Paris, New York et Madrid, se sont entendus pour conspirer contre l'Espagne. Ils souhaitent l'annexion de l'île par les États-Unis et se disent pour la suppression de l'esclavage à condition de recevoir une indemnité pour chaque nègre affranchi : un montant d'au moins douze livres sterling par esclave ! Ils exigent encore qu'une loi oblige les nègres libérés à rester au service des planteurs qui les ont affranchis, détailla Carver.
     
    – En somme, non seulement ces esclavagistes ne perdraient rien, car, libres, les nègres travailleraient autant qu'esclaves, mais encore leurs propriétaires, restant leurs maîtres, toucheraient de fortes sommes ! s'indigna Charles.
     
    – Ces gens sont riches et puissants, monsieur Desteyrac. Ils ont des amis à Washington et à Londres, et se permettent de financer, m'a-t-on assuré, certaines publications antiesclavagistes prudentes, compléta Cornfield.
     
    – Curieuse démarche que celle d'un représentant de ces riches planteurs qui s'est rendu en Angleterre lors de l'Exposition de Londres, en 1851, pour rencontrer lord Henry Palmerston et des antiesclavagistes. On ne sait quel accord a été passé entre le ministre des Affaires étrangères et le représentant des planteurs cubains, mais c'est un fait que, depuis ce temps, les croiseurs de Sa Majesté ne pourchassent plus avec autant de zèle les navires négriers au large des côtes d'Afrique et dans les Caraïbes, reconnut sans plaisir Carver.
     
    – En vérité, les membres de la plantocratie cubaine considèrent que l'important n'est pas tant l'abolition de l'esclavage, dont ils savent bien qu'elle interviendra un jour ou l'autre, que la présence des Noirs quand ils seront libres. En face de cinq cent mille Blancs, on compte, paraît-il, car les recensements d'esclaves sont imprécis, plus de trois cent mille nègres à Cuba. Or, si Indiens et métis n'inspirent pas de crainte, il n'en va pas de même des nègres. C'est pourquoi certains propriétaires répètent sans cesse : « Il faut blanchir Cuba ! » et proposent de reconduire les nègres sur leur terre natale. De bonnes âmes, prêtes à se charger de ce transport, auraient déjà fondé une association pour le retour des nègres en Afrique, ajouta sir Edward.
     
    – Il y aura encore de mauvais jours pour les abolitionnistes sincères. Ainsi, récemment, la police cubaine a découvert l'atelier clandestin où était imprimée La Voz del Pueblo , une feuille révolutionnaire qui prônait non seulement l'abolition, mais aussi l'indépendance de l'île. L'éditeur Eduardo Facciolo a été pendu, et deux journalistes l'auraient été aussi s'ils n'avaient pu fuir et se réfugier à Nassau, rapporta lord Simon.
     
    – En somme, l'annexion par les États-Unis, qui ferait de Cuba un nouvel État américain non esclavagiste, au contraire de ce qu'espèrent ces

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