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Le Pont de Buena Vista

Le Pont de Buena Vista

Titel: Le Pont de Buena Vista Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Denuzière
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l'imitèrent, et tous rejoignirent les nouveaux venus. Les présentations furent rapides et, tandis que lord Simon et Jeffrey s'entretenaient avec la mère du cadet de West Point, Murray, en tiers entre Ottilia et l'élève officier, questionnait ce dernier sur la fin de ses études.
     
    Charles, de ce fait un peu isolé, se retrouva en compagnie de Gertrude Lanterbach, plantureuse créature, gaie et spontanée. De sa rusticité paysanne subsistaient une stature intimidante, des mains puissantes, des joues pleines, de grands yeux couleur châtaigne au regard malicieux, et une débrouillardise finaude. Intelligente, d'esprit délié, l'Alsacienne avait assimilé les manières, les tics et même le langage et l'accent de l'aristocratie anglaise qu'elle servait depuis son adolescence. On la devinait partout à l'aise et prompte à faire face à toutes les situations. Pour l'heure, elle se dit enchantée de parler français avec un compatriote.
     
    – Ils formeront un beau couple, n'est-ce pas ? commenta-t-elle, désignant d'un discret mouvement de tête lady Ottilia et le cadet.
     
    Le jeune homme portait l'uniforme – dolman gris souris très ajusté, à brandebourgs bleu foncé, sur un pantalon blanc à sous-pieds –, resté inchangé depuis 1802, date de fondation, à West Point, de l'United States Military Academy.
     
    – Certes. Ce jeune homme a beaucoup d'allure et cette tenue met sa prestance en valeur, reconnut Desteyrac.
     
    Ganté de blanc, encombré de son shako à plumet qu'il tenait dans le creux du bras, Edwin Sampson offrait en effet un physique enviable. Grand, larges épaules, cheveux bruns de coupe réglementaire, il paraissait sorti d'un livre d'images patriotiques. Sa raideur, acquise au cours de quatre années de garde-à-vous et de manœuvres, bien que policée par l'aisance de mouvements et de gestes que confère une éducation mondaine, disait clairement sa vocation militaire. De son visage coloré par les exercices de plein air, Charles remarqua surtout les sourcils épais et le menton carré, signes d'une détermination héroïque n'attendant que l'occasion de s'employer. Son regard sombre posé sur Ottilia flamboyait comme celui d'un hussard à l'instant de charger sabre au clair. D'évidence, ce garçon était follement amoureux. Il serait demeuré pour un temps indéterminé figé dans l'admiration de la fiancée promise si Otti n'avait décidé de le conduire à Charles.
     
    – M. Desteyrac, ingénieur des Ponts et Chaussées, de France, est bien ici, je crois, le seul homme assez instruit dans les sciences pour apprécier la qualité des études que vous suivez à West Point, dit-elle à Edwin avant de s'esquiver.
     
    Au cours de l'entretien, Charles découvrit que les futurs officiers américains recevaient aussi une formation d'ingénieur. À West Point on enseignait, indépendamment de l'art de la guerre, mathématiques, physique, chimie, minéralogie, géologie, mécanique, balistique, génie civil en sus de l'histoire et de la géographie, « ainsi qu'un brin de philosophie », dit Edwin Sampson. Il prouva aussi qu'on y apprenait le français et la grammaire française en s'adressant à Charles dans une langue des plus correcte.
     
    – Nous pratiquons l'équitation, la natation et la navigation à voile sur l'Hudson, et puis nous suivons des cours de danse afin de faire bonne figure dans les réceptions auxquelles les mères de filles à marier ne manquent pas d'inviter les cadets de quatrième année. Car nous passons pour future élite de la nation, dit-il avec un rire qui enlevait toute vantardise à son propos.
     
    Le cadet s'empressa, au premier silence, d'abandonner Charles pour rejoindre Ottilia dans l'embrasure d'une fenêtre où Gertrude l'avait entraînée, sans doute pour régler une question domestique.
     
    Si Edwin fut sympathique à l'ingénieur, sa mère ne lui plut guère. La veuve Sampson, dont le mari, négociant en coton, avait péri dans l'incendie d'un vapeur à roues sur le Mississippi, lourde, courtaude, empâtée, traversa le salon en se dandinant avec effort, telle une grasse volaille en fin de gavage. Son chapeau, galette de paille fleurie comme un parterre, eût fait meilleur effet dans une garden-party qu'à Washington Square. Un collier de perles mâché par les replis d'un triple menton, des joncs d'or à sequins tintinnabulants aux poignets, une profusion de bagues et des boucles d'oreilles à breloques lui donnaient l'aspect

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