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Le Pont de Buena Vista

Le Pont de Buena Vista

Titel: Le Pont de Buena Vista Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Denuzière
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épouse, comme s'il craignait qu'elle ne fût encore plus choquée par la miniature libertine que par la robe d'Ottilia.
     
    Murray entra aussitôt dans le jeu.
     
    – Cher ami, ma cousine porte au cou l'image de la première féministe de l'histoire d'Angleterre, lady Godiva, épouse de Leofric, comte de Chester, seigneur de Coventry. En 1067, comme elle suppliait son mari d'alléger les impôts des drapiers, qui faisaient la réputation de la ville, Leofric, connaissant la pruderie de sa femme, dit qu'il supprimerait les taxes si elle osait traverser la cité en plein jour, nue sur un cheval ! Dans l'esprit du comte, il n'y avait aucun risque que lady Godiva, aussi belle que vertueuse, relevât ce défi. C'était mal connaître la femme qui veut à tout prix obtenir ce qu'elle demande. La comtesse réclama un cheval, se dévêtit intégralement et, sa longue chevelure blonde flottant sur les reins, s'élança au petit trot dans la rue principale de Coventry. Prévenus de cette exhibition, les habitants fermèrent leurs volets pour ne pas outrager la pudeur de celle qui s'imposait en leur faveur une si honteuse épreuve 1 . Ce fut la première revendication ainsi présentée par une femme qui, de nos jours, présiderait les réunions des amies bloomerist de ma chère cousine, expliqua Malcolm.
     
    Jeffrey crut bon d'émettre un toussotement désapprobateur, mais lord Simon, qui possédait une gravure représentant la scène fameuse, vint en aide à son neveu.
     
    – Pour compléter l'histoire, qui n'est peut-être qu'une légende accréditée par le poète Tennyson, il faut dire qu'un jeune garçon nommé Tom, qui voulait sans doute savoir comment était faite une lady nue, glissa un regard par la fenêtre et vit la belle cavalière. La reine Victoria aurait offert à son mari, le prince Albert, un tableau représentant la chevauchée de lady Godiva, ainsi, m'a-t-on dit, que d'autres peintures mettant en scène des dames dénudées. Notre souveraine estime que la nudité est symbole de pureté et d'innocence, précisa lord Simon.
     
    Il se retint de préciser devant l'assemblée combien, cependant, il désapprouvait que sa fille exhibât un tel symbole.
     
    – C'est une belle histoire, pleine d'enseignements pour les maris et… les percepteurs ! conclut gaiement Charles.
     
    – Évaluer la pudeur d'une épouse au prix des impôts est une idée de satrape ! commenta Jeffrey.
     
    – L'enjeu valait le scandale, cher cousin. Lady Godiva, comme l'a écrit Tennyson, s'est construit elle-même, cejour-là, un éternel renom, souligna Ottilia avec un regard complice en direction de Charles.
     
    – Il est dans la nature des femmes de relever les défis les plus étranges. C'est pourquoi les hommes ont intérêt à ne pas leur en lancer ! répondit l'ingénieur.
     
    – Le défi est le sel de la vie. Tout l'art des femmes consiste à ne relever que ceux dont elles sont sûres de triompher, Monsieur l'Ingénieur, dit Ottilia, dont le regard – Charles le ressentit ainsi – contenait une étrange provocation.
     
    À ces mots, lord Simon sursauta et émit un grognement. Malcolm, qui avait suivi le dialogue et en percevait la signification équivoque, intervint fort à propos pour faire évoluer la conversation vers le thème des fiançailles, véritable objet de la réunion des Cornfield à New York.
     
    Jeffrey évoquait la nécessité d'un grand bal auquel serait convié tout ce qui comptait à New York, quand le butler vint lui parler à l'oreille.
     
    – Un chasseur de l'hôtel Holt est venu annoncer l'arrivée à New York d'Anaïs Sampson et de son fils. Malgré l'heure tardive, ils proposent de nous rendre visite sans attendre. Je pense que nous devons nous accommoder de cette aimable intrusion, dit le maître de maison, l'air pincé.
     
    Il fit aussitôt donner l'ordre à son cocher d'atteler et de se rendre à l'hôtel Holt – le seul équipé d'un monte-charge à vapeur – pour conduire jusqu'à Cornfield House le futur fiancé d'Ottilia et sa mère.
     
    – J'espère qu'ils ont déjà dîné, lâcha Ottilia.
     
    – Ce sera comme si, répliqua lord Simon.
     
    Comme Jeffrey, il tenait pour impolitesse caractérisée les visites impromptues.
     
    Une demi-heure plus tard, les hommes venaient de passer au fumoir quand le maître d'hôtel annonça que les Sampson se trouvaient dans le grand salon avec lady Ottilia. Lord Simon éteignit son cigare en soupirant, les autres

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