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Le Pont de Buena Vista

Le Pont de Buena Vista

Titel: Le Pont de Buena Vista Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Denuzière
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d'une matrone gitane ayant réussi dans la cartomancie. En approchant Charles Desteyrac, elle saisit le face-à-main qui, du fait de l'ample ressaut de sa poitrine, se balançait sur son ventre au bout d'un sautoir.
     
    – Ainsi vous êtes français, dit-elle en guise de préambule, parcourant l'ingénieur des cheveux aux chevilles, d'un regard inquisiteur.
     
    – J'ai cet honneur, madame, répondit Charles.
     
    – Beaucoup de Français, plus ou moins titrés, viennent ces temps-ci en Amérique pour épouser nos riches héritières et redorer des blasons ruinés par vos révolutions, reprit-elle, un rien méprisante.
     
    – Rassurez-vous, ce n'est pas mon cas. Je ne suis que de passage et sans blason à redorer. Mais je conçois, madame, que des jeunes filles issues de l'aristocratie du dollar, c'est-à-dire «  du suif et de la quincaillerie », comme l'a écrit un de vos écrivains, soient prêtes à se donner à certains de mes compatriotes pour devenir marquises ou comtesses, répliqua Charles, outré par l'arrogance de l'Américaine.
     
    La veuve jeta un « pffft ! pffft ! » indigné et rejoignit lord Simon et Jeffrey, qui n'attendaient que le départ des visiteurs pour retrouver cigare et armagnac.
     
    Arguant du fait qu'il quittait New York pour Pittsburgh le lendemain en fin de matinée, Charles prit bientôt congé de ses hôtes et de Murray.
     
    – Que pensez-vous du fiancé d'Otti ? demanda l'architecte en raccompagnant Desteyrac.
     
    – Il est superbe, sympathique, et je le crois très épris de votre cousine.
     
    – Ils ne se marieront pas avant le printemps prochain, car, dès qu'il aura obtenu son brevet de lieutenant, Edwin sera envoyé pour six mois au Texas. Il aurait bien voulu épouser Otti avant son départ et l'emmener dans je ne sais quelle garnison perdue, mais elle a préféré différer la cérémonie de quelques mois. Elle ne paraît d'ailleurs guère pressée de devenir épouse Sampson, expliqua Malcolm.
     
    – Se pourrait-il que, d'ici là, elle rompe ses fiançailles, comme elle l'a déjà fait ? demanda Charles.
     
    – Avec Otti la Rebelle, tout est possible ! En tout cas, laissez-moi vous dire que vous êtes maintenant au plus haut dans son estime. Oui, vous lui plaisez vraiment. Et, croyez-moi, Charles, cela me fait grand plaisir.
     
    – Son accueil fut en effet beaucoup plus chaleureux que lors de notre première rencontre à bord du Phoenix , reconnut Charles.
     
    – Et, cette fois, elle ne vous a pas tendu sa main à baiser. Elle s'est souvenue que je lui ai dit comment et pourquoi la vieille étiquette française réserve le baisemain aux femmes mariées, commenta l'architecte en riant.
     
    – N'est-ce pas mieux ainsi ?
     
    – Certes, mais n'oubliez pas ce qu'elle a dit du défi, sel de la vie, conclut Murray avec un regard appuyé.
     
    Ils se donnèrent l'accolade et l'ingénieur regagna sa chambre dans l'hôtel particulier mitoyen de celui de Jeffrey T. Cornfield. Son bagage bouclé, il se mit au lit avec un des ouvrages achetés chez un libraire de Broadway, Walden ou la Vie dans les bois , d'un certain Henry David Thoreau, auteur dont le commandant Colson disait grand bien. D'après l'officier, Thoreau était un philosophe transcendantaliste qui venait de passer un an dans une cabane construite de ses mains, au seul contact de la nature, au bord d'un étang, près de Concord, dans l'État du Massachusetts.
     
    L'ingénieur s'endormit en méditant une phrase de l'Américain qu'il s'appliqua sans hésiter : « Les infortunés qui n'ont pas à lutter contre d'inutiles charges héritées trouvent que dompter et cultiver quelques pieds cubiques de chair est un travail suffisant. »
     

    Au matin, il venait d'achever sa toilette quand le domestique mis à la disposition des invités de Jeffrey Cornfield frappa à la porte.
     
    – Il y a en bas, dans le salon, une dame qui désire vous parler, monsieur.
     
    – Une dame ? A-t-elle donné son nom ?
     
    – Non, monsieur. Mais c'est une vraie dame, et jolie avec ça. Je m'y connais !
     
    Intrigué, Charles noua sa cravate, enfila sa veste de voyage et jeta un regard à sa montre. Il ne s'agissait pas de rater le train pour Pittsburgh. Le cocher de Cornfield House s'était engagé à le conduire en temps utile à la station du Pennsylvania Central Railway. Il disposait d'une heure, délai qu'il estima suffisant pour se débarrasser d'une personne qui faisait mystère

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