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Le Prince

Le Prince

Titel: Le Prince Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Nicolas Machiavel
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propre
bien et de celui de ses sujets, ou du bien d'autrui : dans le
premier cas il doit être économe ; dans le second il ne
saurait être trop libéral.
    Pour le prince, en effet, qui va conquérant
avec ses armées, vivant de dépouilles, de pillage, de
contributions, et usant du bien d'autrui, la libéralité lui est
nécessaire, car sans elle il ne serait point suivi par ses soldats.
Rien ne l'empêche aussi d'être distributeur généreux, ainsi que le
furent Cyrus, César et Alexandre, de ce qui n'appartient ni à
lui-même ni à ses sujets. En prodiguant le bien d'autrui, il n'a
point à craindre de diminuer son crédit ; il ne peut, au
contraire, que l'accroître : c'est la prodigalité de son
propre bien qui pourrait seule lui nuire.
    Enfin la libéralité, plus que toute autre
chose, se dévore elle-même ; car, à mesure qu'on l'exerce, on
perd la faculté de l'exercer encore : on devient pauvre,
méprisé, ou bien rapace et odieux. Le mépris et la haine sont sans
doute les écueils dont il importe le plus aux princes de se
préserver. Or la libéralité conduit infailliblement à l'un et à
l'autre. Il est donc plus sage de se résoudre à être appelé avare,
qualité qui n'attire que du mépris sans haine, que de se mettre,
pour éviter ce nom, dans la nécessité d'encourir la qualification
de rapace, qui engendre le mépris et la haine tout ensemble.

Chapitre 17 De la cruauté et de la clémence, et s'il vaut mieux être aimé que
craint.
    Continuant à suivre les autres qualités
précédemment énoncées, je dis que tout prince doit désirer d'être
réputé clément et non cruel. Il faut pourtant bien prendre garde de
ne point user mal à propos de la clémence. César Borgia passait
pour cruel, mais sa cruauté rétablit l'ordre et l'union dans la
Romagne ; elle y ramena la tranquillité de l'obéissance. On
peut dire aussi, en considérant bien les choses, qu'il fut plus
clément que le peuple florentin, qui, pour éviter le reproche de
cruauté, laissa détruire la ville de Pistoie.
    Un prince ne doit donc point s'effrayer de ce
reproche, quand il s'agit de contenir ses sujets dans l'union et la
fidélité. En faisant un petit nombre d'exemples de rigueur, vous
serez plus clément que ceux qui, par trop de pitié, laissent
s'élever des désordres d'où s'ensuivent les meurtres et les
rapines ; car ces désordres blessent la société tout entière,
au lieu que les rigueurs ordonnées par le prince ne tombent que sur
des particuliers.
    Mais c'est surtout à un prince nouveau qu'il
est impossible de faire le reproche de cruauté, parce que, dans les
États nouveaux, les dangers sont très multipliés. C'est cette
raison aussi que Virgile met dans la bouche de Didon, lorsqu'il lui
fait dire, pour excuser la rigueur de son gouvernement :
    Res dura et regni novitas me talia cogunt
    Moliri, et late fines custode tueri.
    Virgile, Aeneid., lib. I.
    Il doit toutefois ne croire et n'agir qu'avec
une grande maturité, ne point s'effrayer lui-même, et suivre en
tout les conseils de la prudence, tempérés par ceux de
l'humanité ; en sorte qu'il ne soit point imprévoyant par trop
de confiance, et qu'une défiance excessive ne le rende point
intolérable.
    Sur cela s'est élevée la question de savoir
s'il vaut mieux être aimé que craint, ou être craint
qu'aimé ?
    On peut répondre que le meilleur serait d'être
l'un et l'autre. Mais, comme il est très difficile que les deux
choses existent ensemble, je dis que, si l'une doit manquer, il est
plus sûr d'être craint que d'être aimé. On peut, en effet, dire
généralement des hommes qu'ils sont ingrats, inconstants,
dissimulés, tremblants devant les dangers et avides de gain ;
que, tant que vous leur faites du bien, ils sont à vous, qu'ils
vous offrent leur sang, leurs biens, leur vie, leurs enfants, tant,
comme je l'ai déjà dit, que le péril ne s'offre que dans
l'éloignement ; mais que, lorsqu'il s'approche, ils se
détournent bien vite. Le prince qui se serait entièrement reposé
sur leur parole, et qui, dans cette confiance, n'aurait point pris
d'autres mesures, serait bientôt perdu ; car toutes ces
amitiés, achetées par des largesses, et non accordées par
générosité et grandeur d'âme, sont quelquefois, il est vrai, bien
méritées, mais on ne les possède pas effectivement ; et, au
moment de les employer, elles manquent toujours. Ajoutons qu'on
appréhende beaucoup moins d'offenser celui qui se fait aimer

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