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Le Prince

Le Prince

Titel: Le Prince Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Nicolas Machiavel
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princes l'emporter enfin sur ceux qui prenaient la
loyauté pour base de toute leur conduite.
    On peut combattre de deux manières : ou
avec les lois, ou avec la force. La première est propre à l'homme,
la seconde est celle des bêtes ; mais comme souvent celle-là
ne suffit point, on est obligé de recourir à l'autre : il faut
donc qu'un prince sache agir à propos, et en bête et en homme.
C'est ce que les anciens écrivains ont enseigné allégoriquement, en
racontant qu'Achille et plusieurs autres héros de l'antiquité
avaient été confiés au centaure Chiron, pour qu'il les nourrît et
les élevât.
    Par là, en effet, et par cet instituteur
moitié homme et moitié bête, ils ont voulu signifier qu'un prince
doit avoir en quelque sorte ces deux natures, et que l'une a besoin
d'être soutenue par l'autre. Le prince devant donc agir en bête,
tâchera d'être tout à la fois renard et lion : car, s'il n'est
que lion, il n'apercevra point les pièges ; s'il n'est que
renard, il ne se défendra point contre les loups ; et il a
également besoin d'être renard pour connaître les pièges, et lion
pour épouvanter les loups. Ceux qui s'en tiennent tout simplement à
être lions sont très malhabiles.
    Un prince bien avisé ne doit point accomplir
sa promesse lorsque cet accomplissement lui serait nuisible, et que
les raisons qui l'ont déterminé à promettre n'existent plus :
tel est le précepte à donner. Il ne serait pas bon sans doute, si
les hommes étaient tous gens de bien ; mais comme ils sont
méchants, et qu'assurément ils ne vous tiendraient point leur
parole, pourquoi devriez-vous leur tenir la vôtre ? Et
d'ailleurs, un prince peut-il manquer de raisons légitimes pour
colorer l'inexécution de ce qu'il a promis ?
    À ce propos on peut citer une infinité
d'exemples modernes, et alléguer un très grand nombre de traités de
paix, d'accords de toute espèce, devenus vains et inutiles par
l'infidélité des princes qui les avaient conclus. On peut faire
voir que ceux qui ont su le mieux agir en renard sont ceux qui ont
le plus prospéré.
    Mais pour cela, ce qui est absolument
nécessaire, c'est de savoir bien déguiser cette nature de renard,
et de posséder parfaitement l'art et de simuler et de dissimuler.
Les hommes sont si aveugles, si entraînés par le besoin du moment,
qu'un trompeur trouve toujours quelqu'un qui se laisse tromper.
    Parmi les exemples récents, il en est un que
je ne veux point passer sous silence.
    Alexandre VI ne fit jamais que tromper ;
il ne pensait pas à autre chose, et il en eut toujours l'occasion
et le moyen. Il n'y eut jamais d'homme qui affirmât une chose avec
plus d'assurance, qui appuyât sa parole sur plus de serments, et
qui les tint avec moins de scrupule : ses tromperies cependant
lui réussirent toujours, parce qu'il en connaissait parfaitement
l'art.
    Ainsi donc, pour en revenir aux bonnes
qualités énoncées ci-dessus, il n'est pas bien nécessaire qu'un
prince les possède toutes ; mais il l'est qu'il paraisse les
avoir. J'ose même dire que s'il les avait effectivement, et s'il
les montrait toujours dans sa conduite, elles pourraient lui nuire,
au lieu qu'il lui est toujours utile d'en avoir l'apparence. Il lui
est toujours bon, par exemple, de paraître clément, fidèle, humain,
religieux, sincère ; il l'est même d'être tout cela en
réalité : mais il faut en même temps qu'il soit assez maître
de lui pour pouvoir et savoir au besoin montrer les qualités
opposées.
    On doit bien comprendre qu'il n'est pas
possible à un prince, et surtout à un prince nouveau, d'observer
dans sa conduite tout ce qui fait que les hommes sont réputés gens
de bien, et qu'il est souvent obligé, pour maintenir l'État, d'agir
contre l'humanité, contre la charité, contre la religion même. Il
faut donc qu'il ait l'esprit assez flexible pour se tourner à
toutes choses, selon que le vent et les accidents de la fortune le
commandent ; il faut, comme je l'ai dit, que tant qu'il le
peut il ne s'écarte pas de la voie du bien, mais qu'au besoin il
sache entrer dans celle du mal.
    Il doit aussi prendre grand soin de ne pas
laisser échapper une seule parole qui ne respire les cinq qualités
que je viens de nommer ; en sorte qu'à le voir et à l'entendre
on le croie tout plein de douceur, de sincérité, d'humanité,
d'honneur, et principale­ment de religion, qui est encore ce dont
il importe le plus d'avoir l'apparence : car les hommes,

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