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Le Prisonnier de Trafalgar

Le Prisonnier de Trafalgar

Titel: Le Prisonnier de Trafalgar Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Escarpit
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Dans peu de temps, il proclamera l’indépendance. C’est ce que Lacrosse essaie d’éviter à la Guadeloupe, mais je doute qu’il emploie les meilleures méthodes. Il fit un geste dans la direction d’un coffre.  
    — Tiens, attrape la bouteille qui est là. Un verre de médoc ne nous fera de mal ni à toi, ni à moi.  
    Comme se parlant à lui-même, il poursuivit :  
    — L’amiral n’a pas assez de forces pour intervenir contre Toussaint Louverture. Il a dépêché deux frégates en France pour demander des renforts, mais ce n’est ni avec des soldats, ni avec des canons qu’on réglera le problème. Je crains des massacres. La Révolution, ce n’est pas facile, Hazembat.  
    Il leva son verre.  
    — Buvons tout de même à la liberté, à l’égalité et à la fraternité !  
    Le médoc était bon, mais, en buvant, Hazembat se souvint de Brutus Boyreau, le Montagnard de Langon, lui disant que le vin pouvait prendre un goût de sang.  
    Du sang, il en coula à flots dans les mois qui suivirent, quand les nègres de Basse-Terre, à la nouvelle du rétablissement de l’esclavage, se soulevèrent, quand Pelage puis Delgrès se mutinèrent contre Lacrosse.  
    Hazembat ne devait jamais oublier l’horreur de ces corps suppliciés, mutilés, blancs ou noirs, qu’il rencontrait dans les ruines des villages incendiés quand l’équipage de la Bayonnaise participait aux opérations de représailles, ni la panique qui tordait le visage des rescapés, ni la soif d’égorger, de fusiller, de pendre, de brûler vif qui semblait s’être emparée de toute la population, ni la folie meurtrière qui balayait l’île comme une tornade.  
    Une fois, près de Pointe-Noire, Hazembat accompagna Pigache qui commandait une de ces expéditions punitives. Une patrouille de soldats était tombée dans une embuscade et le renfort arriva trop tard. L’officier avait été pendu et les hommes égorgés. Pigache fit faire une incursion dans les mornes avoisinants. Une vingtaine de vieillards, de femmes et d’enfants, tous mulâtres, furent capturés et passés à la baïonnette. En ralliant les hommes, Hazembat rencontra sur le bord de la piste les cadavres ensanglantés d’une famille entière. Un enfant de six ans, à la peau presque blanche, tournait vers le ciel ses yeux morts, gorge ouverte. Ses tripes se serrèrent à la pensée de son fils Bernard-Toussaint et il alla vomir au pied d’un cocotier. Pigache, qui le regardait, lui dit :  
    — Tu as de la chance de ne pas être officier. Moi, il faut que je me le ravale.  
    Hazembat eut l’occasion de débarquer à Pointe-à-Pitre pendant une brève période où Lacrosse avait pu rétablir son autorité sur la ville. Il courut jusqu’à la maison de Belle, mais la venelle n’était plus que ruines. Personne ne vivait là. Il retourna à l’auberge des arcades où, dans la salle vide, Papa Lafortune, plus ratatiné que jamais, tirait sur sa pipe, l’œil fixe à force de boire.  
    — Belle, dit-il, est à Basse-Terre avec les enfants. Céleste a été arrêté avec Gédéon. Moi, je trinque avec moi-même à la liberté de la Guadeloupe !  
    La liberté de la Guadeloupe parut acquise quand, le 28 Vendémiaire, Lacrosse, arrêté par les mutins, s’échappa avec l’aide secrète de Pelage et gagna la Dominique à bord d’un navire de commerce américain. Le surlendemain, la Bayonnaise alla mouiller devant Pointe-à-Pitre pour embarquer le préfet Lescallier et le commissaire à la justice Coster qui allèrent rejoindre Lacrosse.  
    Suivit alors une longue et étrange période d’accalmie pendant laquelle les Anglais, avec lesquels des préliminaires de paix avaient été signés, évitaient le contact des navires français, tandis que Toussaint Louverture à Saint-Domingue et Pelage à la Guadeloupe, tout en protestant de leur attachement à la France et au Premier Consul, interdisaient l’accès de leurs îles.  
    A la fin de Pluviôse, le général Leclerc, propre beau-frère de Bonaparte, arriva avec une armée de vingt-cinq mille hommes pour en finir une fois pour toutes avec Toussaint Louverture. Il débarqua simultanément à Port-Républicain, à Cap-Français et à Santo-Domingo.  
    Et, de nouveau, ce fut l’horrible routine des opérations de nettoyage. Cela se déroulait toujours de la même façon. La corvette envoyait à terre un contingent de soldats de marine en les appuyant éventuellement du feu de ses canons. On

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