Le prix du secret
cas de troubles, tout pourrait arriver.
Il était mal à l’aise, et son épouse aussi. Dale était une assez belle femme, malgré quelques marques laissées par une petite vérole infantile, que d’habitude on ne voyait pas trop. Quand elles ressortaient clairement, comme en ce moment, c’est qu’elle avait peur.
Je savais ce qu’ils redoutaient. Je n’avais jamais assisté à une exécution sur le bûcher, mais mon oncle et ma tante m’avaient forcée à en écouter la description, jadis. Cela avait laissé dans mon esprit une cicatrice si terrible que des années plus tard, pour cette raison, j’avais quitté Matthew. Il voulait restaurer le catholicisme en Angleterre. Si cela arrivait, les bûchers flamboieraient à nouveau. L’horreur que cette idée m’inspirait avait fini par nous séparer.
— En tant que messagère officielle, je devrais être en sécurité, ainsi que ma suite. Soit, il faudra taire nos convictions autant que le dessein de mon voyage. Dale, malgré votre aversion pour les papistes, en France vous devrez tenir votre langue.
— Bien sûr, madame, rétorqua-t-elle, un peu pincée.
J’espérais qu’elle se refrénerait, mais Dale était candide et franche. Enfin, je pourrais compter sur Brockley pour m’épauler.
Ce dernier, toutefois, demeurait préoccupé.
— Messire Blanchard a choisi une très longue route pour rejoindre Douceaix. Je m’étonne que la reine ne lui ait pas demandé d’en changer. La rapidité est la clef de la sécurité, en général.
— Messire Blanchard veut voyager dans des régions où la présence huguenote est forte. On ne s’y est pas opposé, apparemment.
Cela m’avait intriguée, moi aussi ; cependant, je m’étais abstenue de tout commentaire car j’avais mes propres raisons, si insensées fussent-elles, d’approuver ce choix.
La plupart des voyageurs partant pour Paris embarquaient dans un port du Sud-Est ou sur la Tamise. Ils traversaient la Manche, puis, à Calais, continuaient par voie terrestre ou bien longeaient la côte et remontaient la Seine. Messire Blanchard, en revanche, comptait prendre un navire à Southampton, voguer vers le sud et emprunter la Loire. Il faudrait deux jours pour arriver à Southampton, et, avec des vents favorables, environ quatre autres pour atteindre la Loire. Nous débarquerions à Nantes, chevaucherions vers le nord-est pendant quarante lieues afin de chercher Hélène à Douceaix. L’influence protestante, que Luke Blanchard considérait comme une garantie, était vive dans la région. De là, nous devrions abattre encore cinquante lieues avant de parvenir dans la capitale.
— Eh bien, dis-je, au moins on ne me soupçonnera pas d’être en mission pour la reine ! Vous dites vrai, Brockley, les courriers comptent sur la rapidité pour échapper au danger. Écoutez, vous deux, je ne vous force pas à venir, si cela vous effraye.
Ils secouèrent la tête à l’unisson.
— Non, madame, répondit Brockley. Là où vous allez, nous irons, comme toujours. Maintenant, vous feriez bien de vous reposer. Ma femme peut-elle rester auprès de moi cette nuit ? Elle sera de retour à temps pour vous aider à vous lever.
— Certainement.
Ils disposaient de nuits régulières pour se retrouver, mais ils en demandaient parfois une exceptionnellement. Je n’y attachai pas d’importance, sur le coup. Avec le recul, je vois que je nageais dans une bienheureuse ignorance, loin de me douter des conséquences qu’entraînerait cette nuit-là.
Peut-être fut-ce cette même nuit que, dans une hostellerie proche de Marseille, un marchand nommé Anthony Jenkinson, déterminé, intrépide – téméraire, aux yeux de certains –, faillit être assassiné. Ses deux compagnons et lui s’éveillèrent à temps et ce furent les tueurs qui perdirent la vie. Sur la table de chevet, il déposa assez d’argent pour payer le tenancier, puis les trois hommes s’enfuirent discrètement, laissant dans le grand lit deux cadavres que l’on découvrirait au matin.
Les assassins s’étaient lancés aux trousses de messire Jenkinson à la suite d’une réunion remontant à la fin de l’année précédente. Nous ne sûmes jamais quand et où elle s’était tenue, mais elle avait probablement eu lieu à Istanbul. Elle rassemblait de nombreux participants, dont des Vénitiens et des Ottomans. Je les imagine, assis autour d’une table, dans une pièce bien meublée, aux fenêtres conçues pour protéger du
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