Le prix du secret

brouillon, elle demandait tristement quand je reviendrais, les Henderson savaient la convaincre de supprimer ce passage afin de ne pas m’inquiéter. J’aurais voulu savoir. Ils m’avaient écrit qu’elle était heureuse et en bonne santé. Jenkinson me l’avait confirmé. Il avait promis, au moment des adieux, de veiller sur elle chaque fois qu’il le pourrait, et de m’envoyer des nouvelles. Toutefois, j’aurais préféré me rendre compte par moi-même.
    — Cela fait si longtemps que je ne l’ai pas vue !
    — La guerre est finie. Veux-tu la faire venir ? Elle serait la bienvenue. Elle serait l’aînée, la « grande » de la maison. Je la traiterais comme ma propre fille, tu le sais.
    Je pensai à Meg, aspirant si fort à la retrouver que j’eus l’impression que mon cœur s’envolait telle une flèche, tel un oiseau libéré de sa cage, pour franchir toutes ces lieues entre la Loire et la Tamise, se poser à Thamesbank et porter mon amour à ma petite fille.
    J’avais froid. Mieux valait rentrer et me coucher tôt si je voulais me lever à temps pour la messe du matin.
    Alors, mon amour pour Meg se heurta contre le roc. Elle était l’enfant de Gerald, non de Matthew, et elle grandissait à présent là où son père l’eût souhaité. L’Angleterre était son vrai foyer, comme Blanchepierre était celui de Matthew. Elle était en sûreté avec les Henderson. Moi, je pouvais aller à la messe sans que cela revête d’importance, parce que je me sentais sûre de mes convictions ; je pouvais accomplir chacun de ces gestes pour contenter mon mari, tout en restant moi-même. En revanche, Meg était jeune. Si elle venait ici, elle serait influencée.
    On lui enseignerait, comme à Hélène, qu’une monstrueuse cruauté envers ceux que l’Église condamnait était la volonté d’un Dieu d’amour. Wilkins mort, ces idées demeuraient. Le chapelain de Blanchepierre était l’oncle de Matthew, Armand. Un homme doux par nature, et pourtant lui aussi ajoutait foi à ces choses-là qui, disait-il, lui étaient enjointes. Parviendrais-je à aller contre cet endoctrinement ?
    — Pas encore, répondis-je. Je pense que c’est encore trop tôt.
    En moi, le bébé, attendu pour le mois de mars, donna des coups de pied. Il semblait vigoureux, ce dont je me réjouissais. J’avais lutté longtemps pour mettre Meg au monde, et j’espérais que ce petit enfant y entrerait plus facilement.
    — Quand son frère ou sa sœur sera là et que je me serai remise de l’accouchement, nous verrons.
    Meg me manquait tellement ! Toutefois, je n’étais pas sûre que Blanchepierre fût le lieu qui lui convenait.
    Je ne m’étais pas encore résolue à affronter l’autre grande question : si c’était après tout le lieu qui convenait à sa mère.

Sur l’auteur
     
    Fiona Buckley est le pseudonyme de Valerie Anand, auteur britannique à succès. Outre les enquêtes de dame Ursula Blanchard, on lui doit la série Bridges over Time qui conte les péripéties d’une même famille du XI e au XIX e siècle en Angleterre. Très concernée par la condition de la femme en Inde, et de manière générale dans les pays en voie de développement, Fiona Buckley œuvre dans plusieurs associations. Elle vit aujourd’hui près de Londres, dans le comté de Surrey.

Quatrième de couverture
     
    Entrée par nécessité dans le monde périlleux de la cour d’Angleterre, Ursula Blanchard, dame d’honneur et espionne de l’impitoyable Élisabeth I re , est lasse de ses intrigues. Alors qu’elle pensait prendre un repos salvateur lors d’un voyage pour affaires privées en France, Ursula se voit confier une nouvelle mission secrète : remettre à Catherine de Médicis une missive lui proposant l’aide d’Élisabeth pour régler le conflit entre catholiques et protestants en France. Car la guerre civile menace et il ne reste que peu d’espoir d’empêcher un bain de sang qui pourrait gagner l’Angleterre… Mais à peine a-t-elle posé un pied en terre de France que les dangers s’accumulent en travers de sa route.