Le quatrième cavalier
hommes de Svein ne semblaient guère pressés de reprendre l’attaque. Ils
étaient près de huit cents, sur l’aile gauche de l’armée de Guthrum, désormais
diminuée en raison de la défection des hommes de Wulfhere.
— Seigneur ! appelai-je Alfred. Attaquez ces
hommes !
Les troupes de Svein étaient à deux bonnes centaines de pas
du fort, et pour le moment privées de leur chef qui avait déjà regagné les remparts.
Du haut de son cheval, Alfred contempla la scène et secoua la tête. À ses
genoux, bras écartés, Beocca priait avec ferveur.
— Nous pouvons les tailler en pièces, insistai-je.
— D’autres viendront en renfort des remparts, répondit-il.
— Mais nous voulons justement leur faire quitter la
forteresse ! Il est plus facile de les tuer à découvert.
Alfred s’obstina. Je crois que, paralysé par la crainte de
prendre la mauvaise décision, il préférait laisser à l’ennemi le choix de l’offensive.
Svein se lança alors en entraînant trois ou quatre cents
hommes hors du fort. La plupart des soldats de Guthrum restèrent aux remparts, mais
les Danes qui avaient combattu la garde d’Alfred rejoignaient les troupes de
Svein et montaient le mur de boucliers. Je vis flotter parmi eux la bannière de
Ragnar.
— Ils vont attaquer, n’est-ce pas ? s’enquit
Pyrlig. (Puis, voyant que je regardais sa joue ensanglantée :) Ce n’est
rien. J’ai connu pire en me querellant avec mon épouse. Mais ces bâtards
arrivent et veulent nous attaquer par la droite ?
— Nous pouvons les vaincre, seigneur ! criai-je à
Alfred. Lancez tous vos hommes au-devant d’eux, tous ! (Il fit la sourde
oreille.) Appelez la fyrd de Wiglaf, seigneur !
— Nous ne le pouvons ! s’indigna-t-il.
Il craignait qu’en ôtantla fyrd de Sumorsæte
de devant la forteresse, cela permît à Guthrum de lancer tous ses hommes à l’assaut
de notre flanc gauche. Je savais Guthrum bien trop prudent pour agir ainsi :
il se sentait à l’abri derrière les remparts pendant que Svein gagnait la
bataille pour lui. Il ne bougerait point tant que notre armée ne serait pas
dispersée.
Alfred était un homme habile, peut-être, mais n’entendant
rien à la guerre. Il ne comprenait pas qu’il ne s’agit point de nombres ni de
pions sur un échiquier, mais de passion, de cris et d’irrépressible fureur.
Jusqu’à présent, je n’avais encore rien éprouvé de tel. Nous
nous étions bien battus, mais en nous contentant de nous défendre. Nous n’étions
point allés porter le carnage chez l’ennemi, alors qu’on ne vainc qu’en
attaquant. Et nous allions devoir à nouveau nous défendre. Alfred m’ordonna de
me placer à droite de ses lignes.
— Laisse-moi les bannières et assure-toi que notre aile
est protégée.
C’était un honneur. L’aile droite était celle que l’ennemi
risquait de tenter d’envelopper, Alfred avait besoin de braves pour la tenir. Au
loin, j’aperçus les rescapés de la fyrd d’Osric qui nous regardaient. Certains
reviendraient sans doute s’ils nous croyaient vainqueurs, mais pour l’heure ils
étaient trop effrayés pour rejoindre l’armée d’Alfred.
Sur son cheval blanc, Svein passait en revue son mur de
boucliers en haranguant ses hommes : il leur disait que nous n’étions que
fétus faciles à balayer d’un geste.
— « Et je vis : c’était un cheval blême. Celui
qui le montait, le quatrième cavalier, on le nomme la mort », me dit
Pyrlig. C’est dans l’Évangile, expliqua-t-il en voyant mon incompréhension. Cela
m’est passé par la tête.
— Alors sors-le-toi de la tête, répondis-je durement, car
notre tâche est de le tuer et non de le craindre.
Je me retournai pour recommander à Æthelwold de garder son bouclier
levé, mais je vis qu’il s’était déplacé au dernier rang. Après tout, c’était
mieux ainsi. Pendant ce temps, Svein braillait que nous étions agneaux bons à
massacrer, et ses hommes commençaient à cogner leurs armes sur leurs boucliers.
Ils étaient près d’un millier et nous tout autant, mais moins aguerris. Au nord
arrivaient les premiers corbeaux, ailes noires sur Ciel gris. Les oiseaux d’Odin.
— Venez mourir ! hurla soudain Steapa. Allez, bâtards,
venez !
Svein se retourna, surpris. Ses hommes s’arrêtèrent, je me
rendis compte qu’ils avaient tout aussi peur que nous. Dans un moment d’abattement,
Alfred m’avait dit qu’il fallait quatre Saxons pour terrasser un
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