Le quatrième cavalier
en aspergeant d’eau
bénite les boucliers déjà trempés par la pluie qui redoublait. La fyrd d’Osric
se déployait sur cinq rangs, suivis d’hommes armés de lances. Leur tâche, lorsque
les deux armées se rencontreraient, était de les jeter par-dessus la tête de
leurs camarades, tout comme le feraient les Danes.
— Dieu est avec nous ! répéta Alfred d’une voix
déjà éraillée. Le Ciel nous protège !
Les hommes touchèrent leurs amulettes et fermèrent les yeux
pour une prière silencieuse. Au premier rang, les boucliers se resserrèrent en
se recouvrant partiellement, afin de présenter à l’ennemi une muraille de bois
gainé de fer. Les Danes allaient en faire autant, mais pour l’heure ils continuaient
de déverser leurs quolibets et nous défier.
Le père Beocca priait auprès des bannières d’Alfred. J’étais
devant, encadré de Steapa et Pyrlig.
— Déverse sur eux le feu, ô seigneur, geignait le
prêtre, et que ce feu les décime et les châtie pour leurs péchés !
Les yeux fermés et le visage levé vers le Ciel, il ne vit
point Alfred revenir vers nous et traverser nos rangs. Le roi restait à cheval,
afin de mieux voir. Leofric, accompagné d’une douzaine d’autres cavaliers, était
là pour le protéger.
— En avant ! cria Alfred.
Personne ne bougea. C’était à Osric et ses soldats de s’élancer,
mais les hommes rechignent toujours à marcher sur le mur de boucliers de l’ennemi.
Cela aide d’être ivre. J’ai connu des batailles où les deux armées s’affrontaient
dans les relents aigres de l’ale et du vin de bouleau. N’en ayant point, nous
dûmes rassembler notre courage dans nos cœurs, et il n’y en avait guère en
cette froide et humide matinée.
— En avant ! hurla Leofric.
Cette fois, Osric et ses hommes obéirent et l’armée du
Wiltunscir avança de quelques pas. Les boucliers danes se resserrèrent et la
vue de ce « skjaldborg » arrêta les nôtres. Skjalborg, ainsi
les Danes appellent-ils leur formation : un fort de boucliers. Deux jeunes
guerriers sortirent des rangs et vinrent nous narguer.
— Restez en position ! cria Leofric.
— Ignorez-les ! renchérit Osric.
Une centaine de cavaliers sortirent du fort et trottèrent
derrière le skjaldborg formé par les guerriers de Svein et les Saxons de
Wulfhere. Je voyais son cheval, sa cape et son plumet blancs. La présence de
cavaliers m’indiqua que Svein s’attendait à ce que notre ligne rompe. Les Danes
débordaient d’assurance, et il y avait de quoi : ils nous dépassaient en
nombre et étaient tous des guerriers, tandis que nos rangs étaient remplis d’hommes
plus habitués à la charrue qu’à l’épée.
— En avant ! cria Osric.
Ses hommes s’ébrouèrent, mais avancèrent d’à peine un pied.
La pluie dégouttait de mon casque et s’insinuait sous ma
cotte de mailles, me faisant frissonner.
— Frappe-les de ta vigueur, Seigneur ! braillait
Beocca. Massacre-les sans merci et taille-les en pièces !
Pyrlig priait, du moins me semblait-il, car il parlait dans
sa langue, mais je l’entendis répéter maintes fois le mot duw, et je
savais par Iseult que cela signifiait « dieu » en breton. Æthelwold
était derrière lui, alors qu’il devait être derrière moi : Eadric avait
insisté pour prendre sa place, afin qu’Æthelwold protège Pyrlig. Il ne cessait
de babiller pour tromper son angoisse, et je m’en pris à lui.
— Garde ton bouclier levé.
— Je sais, je sais.
— Tu protèges la tête de Pyrlig, entends-tu ?
— Je sais ! s’irrita-t-il.
— En avant ! En avant ! encouragea Osric.
Alfred continuait de parcourir nos lignes à l’arrière, épée
tirée, et je crus qu’il allait les pousser de la pointe. Les hommes avancèrent
de quelques pas, et les boucliers danes se dressèrent de nouveau. Svein et ses
cavaliers étaient à présent sur l’aile, mais Osric y avait placé un groupe de
guerriers choisis pour la défendre.
— Pour Dieu ! Pour le Wiltunscir ! hurla-t-il.
En avant !
Les hommes d’Alfred étaient sur la gauche de la fyrd d’Osric,
légèrement en arrière, afin d’accueillir l’attaque attendue depuis le fort. Nous
avancions régulièrement, mais nous étions presque tous des guerriers et savions
que nous ne pouvions trop devancer les soldats d’Osric, moins téméraires.
— Criez ! appela Osric. Traitez-les de bâtards et
d’enfants de putains ! Dites-leur qu’ils sont la
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