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Le Roi de fer

Le Roi de fer

Titel: Le Roi de fer Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Druon
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était toujours ainsi lorsqu’il
les accompagnait. Elles l’assuraient de le rembourser, mais elles oubliaient
aussitôt, et il était trop gentilhomme pour le leur rappeler.
    — Prends garde, mon fils, lui
avait dit un jour messire Gautier d’Aunay le père ; les femmes les plus
riches sont celles qui coûtent le plus cher.
    Il en faisait la constatation à ses
dépens. Mais il s’en moquait. Les d’Aunay pouvaient se dispenser de
compter ; leurs domaines de Vémars et d’Aunay-lès-Bondy, entre Pontoise et
Luzarches, leur assuraient d’importants revenus.
    À présent, Philippe d’Aunay tenait
son prétexte à courir vers l’hôtel de Nesle, où demeuraient le roi et la reine
de Navarre, de l’autre côté de l’eau. En passant par le pont Saint-Michel, il
n’en avait que pour quelques minutes.
    Il salua les deux princesses et se
dirigea vers les portes de la Galerie mercière.
    Le seigneur aux bottes rouges le
suivit du regard, un regard de chasseur. Ce seigneur était Robert d’Artois,
revenu depuis quelques jours d’Angleterre. Il parut réfléchir ; puis il
descendit l’escalier et, à son tour, gagna la rue.
    Dehors, le bourdon de Notre-Dame
s’était tu, et il régnait sur l’île de la Cité un silence inhabituel,
impressionnant. Que se passait-il à Notre-Dame ?
     

IV

NOTRE-DAME ÉTAIT BLANCHE
    Les archers s’étaient formés en
cordon pour maintenir la foule en deçà de l’étroit parvis. À toutes les
fenêtres, des têtes curieuses se pressaient.
    La brume s’était levée et un pâle
soleil éclairait les pierres blanches de Notre-Dame de Paris. Car la cathédrale
n’était achevée que depuis soixante-dix ans, et l’on travaillait sans cesse à
l’embellir. Elle avait encore l’éclat du neuf, et la lumière faisait ressortir
l’arc des ogives, la dentelle de la rosace centrale, accentuait le
fourmillement des statues au-dessus des porches.
    On avait repoussé contre les maisons
les marchands de poulets qui, chaque matin, vendaient devant l’église. Le
criaillement d’une volaille étouffant dans son cageot déchirait le silence, cet
anormal silence qui venait de surprendre le comte d’Artois à la sortie de la
Galerie mercière.
    Le capitaine Alain de Pareilles se
tenait immobile devant ses soldats.
    En haut des marches qui montaient du
parvis, les quatre dignitaires du Temple étaient debout, dos à la foule et face
au Tribunal ecclésiastique installé entre les vantaux ouverts du grand portail.
Évêques, chanoines, clercs siégeaient alignés sur deux rangs.
    La curiosité de la foule se portait
principalement sur les trois cardinaux spécialement envoyés par le pape pour
bien signifier que la sentence serait sans appel ni recours devant le
Saint-Siège, ainsi que sur Monseigneur Jean de Marigny, le jeune archevêque de
Sens, frère du recteur du royaume, et qui, avec le grand inquisiteur de France,
avait conduit toute l’affaire.
    Les robes brunes ou blanches d’une
trentaine de moines apparaissaient derrière les membres du Tribunal. Seul laïc
de cette assemblée, le prévôt de Paris, Jean Ployebouche, personnage d’une
cinquantaine d’années, courtaud, au visage contracté, paraissait peu satisfait
de se trouver là. Il représentait le pouvoir royal et était chargé du maintien
de l’ordre. Ses yeux allaient de la foule au capitaine des archers, et du
capitaine à l’archevêque de Sens.
    Le faible soleil jouait sur les
mitres, les crosses, la pourpre des robes cardinalices, l’amarante des capes
épiscopales, l’hermine des camails, l’or des croix pectorales, l’acier des
cottes de mailles, des casques et des armes. Ces scintillements, ces couleurs,
cet éclat rendaient plus violent le contraste avec les accusés pour lesquels
tout ce grand appareil avait été commandé, les quatre vieux Templiers
guenilleux, serrés les uns contre les autres, et dont le groupe semblait
sculpté dans la cendre.
    Monseigneur Arnaud d’Auch, cardinal
d’Albano, premier légat, lisait debout les attendus du jugement. Il le faisait
avec lenteur et emphase, savourant sa propre voix, satisfait de lui-même et de
se donner en spectacle devant un auditoire populaire. Par instants, il jouait à
l’homme horrifié par l’énormité des crimes qu’il avait à énoncer ; puis il
reprenait une majesté onctueuse pour relater un nouveau grief, un nouveau
forfait.
    — … Entendu les frères
Géraud du Passage et Jean de Cugny qui affirment après maints

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