Le Roi de fer
le
disait observer une stricte chasteté depuis neuf ans qu’il était veuf.
Mais il semblait qu’il ne pût sévir
contre Blanche. La vivacité de celle-ci, sa gaieté, son audace à tout dire, le
désarmaient. Il était à la fois amusé et choqué. Il sourit, ce qui ne lui
arrivait pas une fois le mois.
— Et la troisième, que
dit-elle ? ajouta-t-il.
Par la troisième, il entendait
Marguerite de Bourgogne, cousine de Jeanne et de Blanche, et mariée à
l’héritier du trône, Louis, roi de Navarre.
— Marguerite ? s’écria
Blanche. Elle s’enferme, elle fait son œil noir, et elle dit que vous êtes
aussi méchant que vous êtes beau.
Cette fois encore, le roi resta un
peu indécis, comme s’il s’interrogeait sur la manière de prendre ce dernier
trait. Mais le regard de Blanche était si limpide, si candide ! Elle était
la seule personne qui osât lui parler d’un tel ton et qui ne tremblât pas en sa
présence.
— Eh bien ! Rassurez
Marguerite, et rassurez-vous, Blanche. Mes fils Louis et Charles pourront vous
tenir compagnie ce soir. Aujourd’hui est une bonne journée pour le royaume, dit
Philippe le Bel. Il n’y aura pas conseil ce soir. Quant à votre époux, Jeanne,
qui est allé à Dole et à Salins veiller aux affaires de votre comté, je ne
pense pas qu’il demeure encore absent plus d’une semaine.
— Alors je m’apprête à fêter
son retour, dit Jeanne en courbant son beau cou.
C’était pour le roi Philippe une
très longue conversation que celle qu’il venait de tenir. Il tourna les talons
brusquement, sans dire adieu, et gagna le grand escalier qui menait à ses
appartements.
— Dieu soit loué ! dit
Blanche, la main sur la poitrine, en le regardant disparaître. Nous l’avons
échappé belle.
— J’ai cru défaillir de peur,
dit Jeanne.
Philippe d’Aunay était rouge
jusqu’aux cheveux, non plus de confusion à présent, mais de colère.
— Grand merci, dit-il sèchement
à Blanche. Ce sont choses agréables à entendre que celles que vous avez dites.
— Et que vouliez-vous que je
fisse ? s’écria Blanche. Avez-vous trouvé mieux, vous ? Vous êtes
resté court et tout bredouillant. Il nous arrive sus sans qu’on l’ait vu. Il a
l’oreille la plus fine du royaume. Si jamais il a surpris nos propos, c’était
bien la seule façon de lui donner le change. Et plutôt que de récriminer
encore, Philippe, vous feriez mieux de me féliciter.
— Ne recommencez point, dit
Jeanne. Marchons, rapprochons-nous des boutiques ; quittons cet air de
complot.
Ils avancèrent, répondant aux saluts
dont on les honorait.
— Messire, reprit Jeanne à
mi-voix, je vous ferai remarquer que c’est vous, par votre sotte jalousie, qui
êtes cause de cette alarme. Si vous ne vous étiez pas mis à si fort vous
plaindre au propos de Marguerite, nous n’eussions point couru le risque que le
roi en entendît trop.
Philippe d’Aunay gardait la mine
sombre.
— En vérité, dit Blanche, votre
frère est plus agréable que vous.
— C’est sans doute qu’il est
mieux traité, et j’en suis heureux pour lui, répondit le jeune homme. En effet,
je suis un bien grand sot de me laisser humilier par une femme qui me traite en
valet, m’appelle dans son lit quand l’envie lui en prend, m’éloigne quand
l’envie lui passe, me laisse des jours sans me donner signe de vie, et qui
feint de ne pas me reconnaître quand elle me croise. Quel jeu joue-t-elle, à la
parfin ?
Philippe d’Aunay, écuyer de Monseigneur
de Valois, était depuis quatre ans l’amant de Marguerite de Bourgogne, l’aînée
des belles-filles de Philippe le Bel. S’il osait en parler de la sorte devant
Blanche de Bourgogne, épouse de Charles de France, c’était parce que Blanche se
trouvait être la maîtresse de son frère, Gautier d’Aunay, écuyer du comte de
Poitiers. Et s’il pouvait s’en ouvrir devant Jeanne de Bourgogne, comtesse de
Poitiers, c’était parce que celle-ci, bien qu’elle ne fût encore la maîtresse
de personne, favorisait pourtant, moitié par faiblesse, moitié par amusement,
l’intrigue des deux autres brus royales, combinait les rendez-vous, facilitait
les rencontres.
Ainsi, en cet avant-printemps 1314,
le jour même où l’on allait juger les Templiers et où cette grave affaire était
le principal souci de la couronne, deux fils de France, l’aîné, Louis, et le
puîné, Charles, portaient les cornes par la grâce de deux écuyers
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