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Le Roi de fer

Le Roi de fer

Titel: Le Roi de fer Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Druon
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on nous charge sont crimes
inventés !
    Une sorte d’immense soupir s’éleva
de la foule. Le Tribunal s’agita. Les cardinaux se regardèrent, stupéfaits.
Personne ne s’attendait à cela. Jean de Marigny s’était levé d’un bond. C’en
était fini des poses alanguies ; il était blême et tremblant de colère.
    — Vous mentez ! cria-t-il
au grand-maître. Vous avez avoué devant la commission.
    Les archers, d’instinct, s’étaient
resserrés, attendant un ordre.
    — Je ne suis coupable, répondit
Jacques de Molay, que d’avoir cédé à vos cajoleries, menaces et tourments.
J’affirme, devant Dieu qui nous entend, que l’Ordre est innocent et saint.
    Et Dieu semblait l’entendre en
effet. Car la voix du grand-maître, lancée vers l’intérieur de la cathédrale et
répercutée par les voûtes, revenait en écho, comme si une autre voix plus
profonde, au fond de la nef, avait repris chaque parole.
    — Vous avez avoué la
sodomie ! dit Jean de Marigny.
    — Dans la torture !
répliqua Molay.
    «… dans la torture…», relança la
voix qui paraissait se former dans le Tabernacle.
    — Vous avez confessé
l’hérésie !
    — Dans la torture !
    «… dans la torture…», répéta le
Tabernacle.
    — Je retire tout ! dit le
grand-maître.
    «… tout…», répondit en grondant la
cathédrale entière.
    Un nouvel interlocuteur entra dans
cet étrange dialogue. Geoffroy de Charnay, à son tour, s’en prenait à
l’archevêque de Sens.
    — On a abusé de notre
affaiblissement, disait-il. Nous sommes victimes de vos complots et de vos
fausses promesses. C’est votre haine et votre vindicte qui nous perdent !
Mais je l’affirme aussi devant Dieu, nous sommes innocents, et ceux qui disent
autrement en ont menti par la bouche.
    Alors les moines qui se tenaient
derrière le Tribunal se mirent à crier :
    — Hérétiques ! Au
feu ! Au feu, les hérétiques !
    Mais leurs invectives n’eurent pas
le résultat escompté. Avec ce mouvement d’indignation généreuse qui le porte
souvent au secours du courage malheureux, le peuple en majorité prenait parti
pour les Templiers.
    On montrait le poing aux juges. Des
bagarres éclataient à tous les coins de la place. On hurlait aux fenêtres.
L’affaire menaçait de tourner à l’émeute.
    Sur un commandement d’Alain de
Pareilles, la moitié des archers s’étaient formés en chaîne, se tenant par les
bras pour résister à la poussée de la foule, tandis que les autres, piques
abaissées, faisaient face.
    Les sergents royaux, de leurs bâtons
à fleur de lis, frappaient à l’aveuglette dans la presse. Les cageots des
marchands de poulets avaient été renversés, et les cris de la volaille piétinée
se mêlaient à ceux du public.
    Le Tribunal était debout. Jean de
Marigny se concertait avec le prévôt de Paris.
    — N’importe quoi, Monseigneur,
décidez n’importe quoi, disait le prévôt ; mais il ne faut point les
laisser là. Nous allons tous être emportés. Vous ne connaissez point les
Parisiens lorsqu’ils s’agitent.
    Jean de Marigny leva sa crosse
épiscopale pour signifier qu’il allait parler. Mais personne ne voulait plus
l’entendre. On l’accablait d’insultes.
    — Tourmenteur ! Faux
évêque ! Dieu te punira !
    — Parlez, Monseigneur, parlez,
lui disait le prévôt.
    Il craignait pour sa situation et
pour sa peau ; il se souvenait des émeutes de 1306 où l’on avait pillé les
hôtels des bourgeois.
    — Deux des condamnés sont
déclarés relaps ! dit l’archevêque forçant vainement la voix. Ils sont
retombés dans leurs hérésies. Ils ont rejeté la justice de l’Église ;
l’Église les rejette et les remet à la justice du roi.
    Ses paroles se perdirent dans le
vacarme. Puis tout le Tribunal, comme un troupeau de pintades affolées, rentra
dans Notre-Dame dont le portail fut aussitôt fermé.
    Sur un geste du prévôt à Alain de
Pareilles, un groupe d’archers se précipita vers les marches ; le chariot
fut amené et les condamnés poussés dedans à coups de manches de pique. Ils se
laissèrent faire avec une grande docilité. Le grand-maître et le précepteur de
Normandie se sentaient à la fois épuisés et détendus. Ils étaient enfin en paix
avec eux-mêmes. Les deux autres ne comprenaient plus rien.
    Les archers ouvrirent le chemin au
chariot, tandis que le prévôt Ployebouche donnait des instructions à ses
sergents pour qu’on nettoyât la place au plus

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