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Le Roi de fer

Le Roi de fer

Titel: Le Roi de fer Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Druon
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vite. Il virait sur lui-même,
complètement débordé.
    — Ramenez les prisonniers au
Temple ! cria-t-il à Alain de Pareilles. Pour moi, je cours en aviser le
roi.
     

V

MARGUERITE DE BOURGOGNE, REINE DE NAVARRE
    Pendant ce temps, Philippe d’Aunay
était arrivé à l’hôtel de Nesle. On l’avait prié d’attendre dans l’antichambre
des appartements de la reine de Navarre. Les minutes n’en finissaient plus.
Philippe se demandait si Marguerite était retenue par des importuns ou si,
simplement, elle prenait plaisir à le laisser languir. Elle avait des tours de
cette manière. Et peut-être au bout d’une heure à piétiner, s’asseoir, se
relever, s’entendrait-il dire qu’elle n’était pas visible. Il enrageait.
    Voilà quelque quatre années, dans
les débuts de leur liaison, elle n’eût pas agi de la sorte. Ou peut-être si. Il
ne se souvenait plus. Tout à l’émerveillement d’une aventure commençante où la
vanité avait autant de part que l’amour, il eût alors fait volontiers le pied
de grue cinq heures de rang pour seulement apercevoir sa maîtresse, lui
effleurer les doigts ou recevoir d’elle, d’un mot chuchoté, la promesse d’un
autre rendez-vous.
    Les temps avaient changé. Les
difficultés qui font la saveur d’un amour naissant deviennent intolérables à un
amour de quatre ans ; et souvent la passion meurt de ce qui l’a fait
naître. La perpétuelle incertitude des rencontres, les entrevues décommandées, les
obligations de la cour, à quoi s’ajoutaient les étrangetés du caractère de
Marguerite, avaient poussé Philippe à un sentiment exaspéré qui ne s’exprimait
plus guère que par la revendication et la colère.
    Marguerite paraissait mieux prendre
les choses. Elle savourait le double plaisir de tromper son mari et d’irriter
son amant. Elle était de ces femmes qui ne trouvent de renouvellement dans le
désir qu’au spectacle des souffrances qu’elles infligent, jusqu’à ce que ce
spectacle même leur devienne lassant.
    Il ne se passait pas de jour que
Philippe ne se dît qu’un grand amour n’avait pas d’accomplissement dans
l’adultère, et qu’il ne se jurât de rompre un lien devenu si blessant.
    Mais il était faible, il était
lâche, il était pris. Pareil au joueur qui s’enferre en courant après sa mise,
il courait après ses rêves de naguère, ses vains présents, son temps dilapidé,
son bonheur enfui. Il n’avait pas le courage de se lever de la table en
disant : « J’ai assez perdu. »
    Et il était là, tout morfondu de
dépit et de chagrin, à attendre qu’on voulût bien lui dire d’entrer.
    Pour distraire son impatience, il
s’assit sur un banc de pierre, dans l’embrasure d’une fenêtre, et regarda le
mouvement des palefreniers qui sortaient les chevaux de selle pour aller les
détendre sur le Petit-Pré-aux-Clercs, l’entrée des portefaix chargés de
quartiers de viande et de ballots de légumes.
    L’hôtel de Nesle se composait de
deux monuments accolés, mais distincts ; d’une part l’Hôtel proprement
dit, qui était de construction récente, et d’autre part la Tour, antérieure
d’un bon siècle, qui appartenait au système des remparts de Philippe Auguste.
Philippe le Bel avait acquis l’ensemble, six ans plus tôt, du comte Amaury de
Nesle, pour le donner comme résidence au roi de Navarre, son fils aîné [9] .
    La Tour, dans le passé, n’avait
guère servi que de corps de garde ou de resserre. C’était Marguerite qui,
récemment, avait décidé d’y faire installer des pièces de séjour, afin,
prétendait-elle, de s’y retirer et d’y méditer sur ses livres d’heures. Elle affirmait
avoir besoin de solitude. Comme elle était réputée de caractère fantasque,
Louis de Navarre ne s’en était pas étonné. En fait, elle n’avait décidé de cet
aménagement que pour pouvoir recevoir plus aisément le beau d’Aunay.
    Ce dernier en avait conçu une
inégalable fierté. Une reine, pour lui, avait transformé une forteresse en
chambre d’amour.
    Puis, quand son frère aîné Gautier
était devenu l’amant de Blanche, la Tour avait également servi d’asile au
nouveau couple. Le prétexte était aisé ; Blanche venait rendre visite à sa
cousine et belle-sœur ; et Marguerite ne demandait qu’à être tout à la
fois complaisante et complice.
    Mais maintenant, lorsque Philippe
regardait le grand édifice sombre, au toit crénelé, aux étroites et rares
ouvertures en

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