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Le Roi de fer

Le Roi de fer

Titel: Le Roi de fer Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Druon
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autres qu’on leur
fît force, à leur réception dans l’Ordre, de cracher sur la Croix, pour ce,
leur dit-on, que c’était un morceau de bois et que le vrai Dieu était au ciel…
Entendu le frère Guy Dauphin à qui il fut enjoint, si l’un de ses frères
supérieurs était tourmenté par la chair et se voulait satisfaire sur lui, de
consentir à tout ce qui lui serait demandé… Entendu le grand-maître Jacques de
Molay qui, sous la question, a reconnu et avoué…
    La foule devait tendre l’oreille
pour saisir les mots déformés par un débit emphatique. Le légat en faisait trop
et il était trop long. Le peuple commençait à s’impatienter.
    À la relation des accusations, des
faux témoignages, des aveux extorqués, Jacques de Molay murmurait pour
lui-même :
    « Mensonge… mensonge…
mensonge…»
    La colère qui l’avait saisi pendant
le trajet ne faisait que croître. Le sang battait de plus en plus fort à ses
tempes décharnées.
    Rien ne s’était produit qui vînt
arrêter le déroulement du cauchemar. Aucun groupe d’anciens Templiers n’avait
surgi de la foule.
    — … Entendu le frère
Hugues de Payraud qui reconnaît avoir fait obligation aux novices de renier le
Christ par trois fois…
    Le visiteur général tourna vers
Jacques de Molay un visage douloureux et prononça :
    — Mon frère, mon frère, est-ce
jamais moi qui ai dit cela ?
    Les quatre dignitaires étaient seuls,
abandonnés du ciel et des hommes, pris comme dans une tenaille géante entre les
troupes et le Tribunal, entre la force royale et la force de l’Église. Chaque
parole du cardinal-légat resserrait l’étau.
    Comment les commissions d’enquête,
bien qu’on le leur eût expliqué cent fois, n’avaient-elles pas voulu admettre,
voulu comprendre que cette épreuve du reniement n’était imposée aux novices que
pour assurer leur attitude s’ils étaient pris par les musulmans et sommés
d’abjurer ?
    Le grand-maître avait une envie
furieuse de sauter à la gorge du prélat, de le gifler, l’étrangler. Et ce
n’était pas seulement le légat qu’il eût voulu étriper, mais aussi le jeune
Marigny, ce bellâtre mitré qui prenait des poses alanguies. Et surtout il eût
voulu atteindre ses trois vrais ennemis, ceux qui n’étaient pas là : le
roi, le garde des Sceaux, le pape.
    La rage de l’impuissance lui faisait
danser un voile rouge devant les yeux. Il fallait qu’il arrivât quelque chose…
Un vertige si fort le saisit qu’il craignit de s’abattre sur la pierre. Il ne
voyait pas qu’une fureur égale avait gagné son compagnon Geoffroy de Charnay,
et que la cicatrice du précepteur de Normandie était devenue toute blanche au
milieu d’un front cramoisi.
    Le légat prit un temps dans sa
déclamation, abaissa le grand parchemin, inclina légèrement la tête à droite et
à gauche vers ses assesseurs, rapprocha le parchemin de son visage, y souffla
comme pour en chasser une poussière.
    — … Considérant que les
accusés ont avoué et reconnu, les condamnons… au mur et au silence pour le
reste de leurs jours, afin qu’ils obtiennent la rémission de leurs fautes par
les larmes du repentir. In nomine Patris…
    Le légat fit un lent signe de croix
et s’assit, plein de superbe, en roulant le parchemin, qu’il tendit ensuite à
un clerc.
    La foule demeura d’abord sans
réaction. Après une telle énumération de crimes, la peine de mort était si
évidemment attendue que la condamnation au mur – c’est-à-dire la prison à
perpétuité, le cachot, les chaînes, le pain et l’eau – paraissait une mesure
de clémence.
    Philippe le Bel avait bien ajusté
son coup. L’opinion populaire allait admettre sans difficulté, presque
platement, ce point final à une tragédie qui l’avait agitée pendant sept ans.
Le premier légat et le jeune archevêque de Sens échangèrent un imperceptible
sourire de connivence.
    — Mes frères, mes frères,
bredouilla le visiteur général, ai-je bien entendu ? On ne nous tue
point ! On nous fait grâce !
    Il avait les yeux pleins de larmes,
et sa bouche aux dents cassées s’ouvrait comme s’il allait rire.
    Ce fut cette affreuse joie qui
déclencha tout.
    Soudain on entendit une voix
proférer du haut des marches :
    — Je proteste !
    Et cette voix était si puissante que
l’on ne crut pas d’abord qu’elle appartenait au grand-maître.
    — Je proteste contre une
sentence inique, et j’affirme que les crimes dont

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