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Le Roi de fer

Le Roi de fer

Titel: Le Roi de fer Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Druon
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et il put lire
sur la feuille : « Prudence. »
    Puis, elle cria, en direction de la
pièce voisine :
    — Madame de Comminges, allez
chercher ma fille ; je ne l’ai point embrassée de tout le matin.
    On entendit la dame de parage
sortir.
    — La prudence, dit alors
Philippe, est une bonne excuse pour éloigner un amant et en accueillir
d’autres. Je sais bien que vous me mentez.
    Elle eut une expression à la fois de
lassitude et d’énervement.
    — Et moi, je vois bien que vous
ne comprenez rien, répondit-elle. Je vous prie de prendre mieux garde à vos
paroles, et même à vos regards. C’est toujours quand deux amants commencent à
se quereller ou à se lasser qu’ils trahissent leur secret devant leur
entourage. Contrôlez-vous mieux.
    Marguerite, ce disant, ne jouait
pas. Depuis quelques jours elle sentait autour d’elle un vague parfum de
soupçon. Louis de Navarre avait fait allusion devant elle, à ses succès, aux
passions qu’elle allumait ; plaisanterie de mari où le rire sonnait faux.
Les impatiences de Philippe avaient-elles été remarquées ? Du portier et
de la chambrière de la tour de Nesle, deux domestiques qui venaient de
Bourgogne et qu’elle terrorisait en même temps qu’elle les couvrait d’or,
Marguerite pouvait se croire sûre autant que d’elle-même. Mais nul n’est jamais
à l’abri d’une imprudence de langage. Et puis il y avait cette dame de
Comminges, qu’on lui avait imposée pour complaire à Monseigneur de Valois, et
qui rôdait partout dans ses tristes atours…
    — Vous avouez donc que vous
êtes lassée ? dit Philippe d’Aunay.
    — Oh ! Vous êtes ennuyeux,
vous savez, répliqua-t-elle. On vous aime et vous ne cessez de gronder.
    — Eh bien ! Ce soir, je
n’aurai pas lieu d’être ennuyeux, répondit Philippe. Il n’y aura pas
conseil ; le roi nous l’a dit lui-même. Vous pourrez ainsi rassurer votre
époux tout à votre aise.
    Au visage qu’elle montra, Philippe,
s’il n’avait pas été aveuglé par la colère, aurait pu comprendre que sa
jalousie, de ce côté au moins, n’avait pas à s’alarmer.
    — Et moi, j’irai chez les
ribaudes ! ajouta-t-il.
    — Fort bien, dit Marguerite.
Ainsi vous me raconterez comment font ces filles. J’y prendrai plaisir.
    Son regard s’était allumé ;
elle se lissait les lèvres du bout de la langue, ironiquement.
    « Garce ! Garce !
Garce ! » pensa Philippe. Il ne savait comment la prendre ; tout
coulait sur elle comme l’eau sur un vitrail.
    Elle alla vers un coffret ouvert, et
y prit une bourse que Philippe ne lui connaissait pas.
    — Cela va faire merveille, dit
Marguerite en glissant la ceinture dans les passants, et en allant se poser, la
bourse contre la taille, devant un grand miroir d’étain.
    — Qui t’a donné cette
aumônière ? demanda Philippe.
    — C’est…
    Elle allait répondre ingénument la
vérité. Mais elle le vit si crispé, si soupçonneux, qu’elle ne put résister à
s’amuser de lui.
    — C’est… quelqu’un.
    — Qui ?
    — Devinez.
    — Le roi de Navarre ?
    — Mon époux n’a pas de ces
générosités !
    — Alors, qui ?
    — Cherchez.
    — Je veux savoir, j’ai le droit
de savoir, dit Philippe s’emportant. C’est un présent d’homme, et d’homme
riche, et d’homme amoureux… parce qu’il a des raisons de l’être, j’imagine.
    Marguerite continuait de se regarder
dans le miroir, essayant l’aumônière sur une hanche, puis sur l’autre, puis au
milieu de la ceinture, tandis que, dans ce mouvement balancé, la robe
fourrée lui couvrait et lui découvrait la jambe.
    — C’est Monseigneur d’Artois, dit Philippe.
    — Oh ! quel mauvais goût vous me prêtez,
messire ! dit-elle. Ce grand butor, qui sent toujours le gibier…
    — Le sire de Fiennes, alors, qui tourne
autour de vous, comme de toutes les femmes ? reprit Philippe.
    Marguerite pencha la tête de côté, prenant une
pose songeuse.
    — Le sire de Fiennes ? dit-elle. Je
n’avais pas remarqué qu’il me portât intérêt. Mais puisque vous me le dites…
Merci de m’en aviser.
    — Je finirai bien par savoir.
    — Quand vous aurez cité toute la cour de
France…
    Elle allait ajouter : « Vous penserez
peut-être à la cour d’Angleterre » ; mais elle fut interrompue par le
retour de madame de Comminges qui poussait devant elle la princesse Jeanne. La
petite fille âgée de trois ans marchait lentement, engoncée dans une

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