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Le Roi de fer

Le Roi de fer

Titel: Le Roi de fer Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Druon
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hauteur, il ne pouvait s’empêcher de se demander si d’autres
hommes ne connaissaient pas auprès de sa maîtresse les mêmes nuits
tumultueuses… Ces cinq jours qui venaient de s’écouler sans qu’il eût reçu
aucune nouvelle, alors que les soirées se fussent si bien prêtées à rencontres,
n’autorisaient-ils pas tous les doutes ?
    Une porte s’ouvrit et une chambrière
invita Philippe à la suivre. Il était décidé cette fois à ne pas s’en laisser
conter. Il traversa plusieurs salles ; puis la chambrière s’effaça, et
Philippe entra dans une pièce basse, encombrée de meubles, et où flottait un
entêtant parfum qu’il connaissait bien, une essence de jasmin que les marchands
recevaient d’Orient.
    Il fallut un instant à Philippe pour
s’habituer à la pénombre et à la chaleur. Un grand feu aux braises épaisses
ardait dans la cheminée de pierre.
    — Madame… dit-il.
    Une voix vint du fond de la pièce,
une voix un peu rauque, comme endormie.
    — Approchez, messire.
    Marguerite osait-elle le recevoir
dans sa chambre, sans témoin ? Philippe d’Aunay fut bien vite tranquillisé
et déçu ; la reine de Navarre n’était pas seule. À demi cachée par la
courtine du lit, une dame de parage, le menton et les cheveux emprisonnés dans
la guimpe blanche des veuves, brodait. Marguerite, pour sa part, était allongée
sur le lit, dans une robe de maison doublée de fourrure d’où sortaient ses
pieds nus, petits et potelés. Recevoir un homme en pareille tenue et pareille
posture était en soi une audace.
    Philippe s’avança et prit un ton de
cour, que démentait l’expression de son visage, pour dire que la comtesse de
Poitiers l’envoyait prendre nouvelles de la reine de Navarre, lui porter
compliment, et lui remettre un présent.
    Marguerite écouta, sans bouger ni
tourner les yeux.
    Elle était petite, de cheveu noir,
de teint ambré. On disait qu’elle avait le plus beau corps du monde et elle
n’était pas la dernière à le faire savoir.
    Philippe regardait cette bouche
ronde, sensuelle, ce menton court, partagé d’une fossette, cette gorge charnue
qui soulevait l’échancrure de la robe, ce bras replié et haut recouvert par la
large emmanchure. Philippe se demanda si Marguerite était entièrement nue sous
la fourrure.
    — Posez ce présent sur la
table, dit-elle, je vais le voir dans un instant.
    Elle s’étira, bâilla, montrant ses
courtes dents blanches, sa langue effilée, son palais rosé et plissé ;
elle bâillait comme font les chats.
    Elle n’avait pas encore une seule
fois regardé le jeune homme. En revanche, il se sentait observé par la dame de
parage. Il ne connaissait pas, parmi les suivantes de Marguerite, cette veuve
au visage long et aux yeux trop rapprochés. Il fit effort pour contenir une
irritation qui ne cessait de croître.
    — Dois-je transmettre,
demanda-t-il, une réponse à Madame de Poitiers ?
    Marguerite consentit enfin à
regarder Philippe. Elle avait des yeux admirables, sombres et veloutés, qui
caressaient les choses et les êtres.
    — Dites à ma belle-sœur de
Poitiers… prononça-t-elle.
    Philippe, s’étant un peu déplacé,
fit un geste nerveux, du bout des doigts, pour inviter Marguerite à écarter la
veuve. Mais Marguerite ne sembla pas comprendre ; elle souriait, non pas
particulièrement à Philippe ; elle souriait dans le vide.
    — Ou bien non, reprit-elle. Je
vais lui écrire un message que vous lui remettrez.
    Puis, à la dame de parage :
    — Ma bonne, il va être temps de
me vêtir. Veuillez vous assurer que ma robe est apprêtée.
    La veuve passa dans la pièce
voisine, mais sans fermer la porte.
    Marguerite se leva, découvrant un
beau genou lisse ; et passant auprès de Philippe, elle lui chuchota dans
un souffle :
    — Je t’aime.
    — Pourquoi ne t’ai-je pas vue
depuis cinq jours ? demanda-t-il de la même façon.
    — Oh ! La belle
chose ! s’écria-t-elle en déployant la ceinture qu’il lui avait apportée.
Que Jeanne a donc de goût, et comme ce présent me ravit !
    — Pourquoi ne t’ai-je pas
vue ? répéta Philippe à voix basse.
    — Elle va convenir à merveille
pour y pendre ma nouvelle aumônière, reprit Marguerite bien fort. Messire
d’Aunay, avez-vous le temps d’attendre que j’écrive ce mot de merci ?
    Elle s’assit à une table, prit une
plume d’oie, une feuille de papier [10] ,
et ne traça qu’un mot. Elle fit signe à Philippe de s’approcher,

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