Le Roman d'Alexandre le Grand
de
se disséminer dans les rues de la ville, baignées par la lumière blanche de la
pleine lune.
Bientôt, il ne resta plus que les
deux Athéniens, Trasybule et Éphialte.
« Avez-vous quelque chose à me
dire ? leur demanda Memnon.
— Oui, répondit Trasybule. Nous
aimerions savoir jusqu’à quel point nous pouvons compter sur tes hommes et sur
toi.
— Je pourrais vous retourner
cette question, observa Memnon.
— Ce que nous voulons te dire,
intervint Éphialte, un homme robuste mesurant au moins six pieds, à la
corpulence herculéenne, c’est que nous sommes remplis de haine envers les
Macédoniens, qui ont humilié notre patrie et l’ont obligée à accepter des
conditions de paix honteuses. Nous sommes devenus mercenaires parce que c’était
la seule façon de combattre l’ennemi sans nuire à notre cité. Mais toi ?
Quelles sont tes motivations ? Qui nous garantit que tu demeureras fidèle
à notre cause si le vent tourne ? Au fond, tu es un…
— Mercenaire professionnel ?
interrompit Memnon. Oui, c’est vrai. Tout comme vos hommes, du premier au
dernier. Les épées mercenaires ne manquent pas, aujourd’hui, sur le marché.
Vous affirmez que votre haine constitue une garantie. En quoi devrais-je vous
croire ? Il m’est arrivé bien souvent de voir la peur l’emporter sur la
haine, et vous n’y échapperez peut-être pas.
« Mon honneur et ma parole sont
ma seule patrie, et vous devez avoir confiance en moi. Rien ne compte plus à
mes yeux, si ce n’est ma famille.
— Est-il vrai que le Grand Roi
a envoyé ton épouse et tes fils à Suse ? Et dans ce cas, cela pourrait
signifier qu’il ne se fie pas à toi et qu’il les a pris en otages, n’est-ce
pas ? »
Memnon leur lança un regard glacial.
« Pour l’emporter sur Alexandre, j’ai besoin de votre loyauté et de votre
obéissance aveugle. Si vous mettez ma parole en doute, alors je n’ai pas besoin
de vous. Allez-vous-en, je vous libère de votre engagement. Allez-vous-en tant
qu’il en est encore temps. »
Les deux généraux athéniens
échangèrent un coup d’œil. Après quoi, Éphialte parla : « Nous
voulions seulement savoir si ce qu’on dit de toi est vrai. Maintenant, nous
sommes fixés. Tu peux compter sur nous, jusqu’au bout. »
Ils sortirent, laissant Memnon seul
dans la grande salle vide.
20
Après avoir consulté ses officiers,
Alexandre quitta le camp situé près de la muraille de Milet, tandis que les
hommes de Néarque commençaient à démonter les machines de guerre pour les
embarquer sur les navires et sur les bacs, ancrés non loin de la plage. Il
était entendu que, une fois l’opération achevée, le vaisseau amiral devait
contourner le cap de Milet pour chercher un point d’abordage favorable, le plus
près possible d’Halicarnasse. Deux capitaines athéniens, qui commandaient les
deux petites escadres de trières destinées au combat, étaient demeurés à ses
côtés.
Grouillante de soldats, la plage
retentissait de cris et de bruits : coups de marteaux, appels, hurlements
rythmés des équipages qui tiraient les grandes poutres démontées sur les bacs
pour les hisser ensuite à bord des navires.
Le roi lança un dernier regard sur
ce qui restait de la flotte alliée, puis sur la ville qui à présent se dressait
tranquillement sur son promontoire. Ensuite, il donna le signal de départ. Une
vallée bordée d’oliviers s’ouvrait devant lui, entre le mont Latmos, au nord,
et le mont Grios, au sud. Au fond, une route poussiéreuse menait à la ville de
Mylasa.
Le temps était chaud et serein, le
feuillage argenté des oliviers resplendissait sur les collines, et, dans les
prairies parsemées de coquelicots, des grues blanches plongeaient leur bec le
long des ruisseaux à la recherche de grenouilles et d’alevins. Au passage de
l’armée, elles levaient un instant leur tête au long bec, mues par la
curiosité.
« Crois-tu à l’histoire des
grues et des Pygmées ? demanda Léonnatos à Callisthène qui chevauchait à
ses côtés.
— Eh bien, Homère en parle, et
il est considéré comme un homme digne de foi, répondit Callisthène sans grande
conviction.
— C’est possible… Je me
souviens des leçons du vieux Léonidas : il parlait des batailles
incessantes entre les grues, qui essayaient d’enlever d’un coup de bec les
enfants des Pygmées, et les Pygmées qui tentaient de casser les œufs des grues.
Ce sont, à mon avis, des histoires
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