Le Roman d'Alexandre le Grand
ton
encontre : payer un tueur afin qu’il t’élimine, corrompre ton médecin pour
qu’il t’empoisonne… Y as-tu déjà songé ? Memnon dispose d’énormes sommes
d’argent.
— Il pourrait appuyer ton
cousin Amyntas, à qui tu as confié, qui plus est, le commandement de la
cavalerie thessalienne, observa Séleucos. N’y as-tu jamais pensé ? »
Une nouvelle fois, le roi secoua la
tête. « Amyntas est un brave garçon, qui a toujours fait preuve de loyauté
à mon égard. Je n’ai aucune raison de douter de lui.
— Je reste d’avis que les
risques sont trop nombreux, répliqua Séleucos.
— Moi aussi », confirma
Eumène.
Alexandre eut un instant
d’hésitation. Il revit son adversaire devant les murs d’Halicarnasse, le visage
dissimulé par un casque brun sur lequel se détachait la rose en argent de
Rhodes, et il entendit à nouveau sa voix : « Je suis le commandant
Memnon. »
Il secoua la tête pour la troisième
fois, d’un air encore plus décidé : « Non, je ne donnerai jamais un
tel ordre. Un homme reste un homme, même en temps de guerre, et mon père avait
l’habitude de me dire que le fils d’un lion est un lion. » Puis il
ajouta : « Et non un serpent venimeux.
— Inutile d’insister, se résigna
Séleucos. Si le roi en a décidé ainsi, c’est ainsi que les choses doivent
être. »
Ptolémée et Eumène acquiescèrent,
mais sans grande conviction.
« Je suis heureux que vous
m’approuviez, dit Alexandre. Alors, examinons cette carte et tentons d’organiser
notre marche le long de la côte. »
Ils discutèrent longuement, jusqu’à
ce que la fatigue l’emporte sur l’enthousiasme. Eumène se retira le premier,
suivi de Ptolémée et de Séleucos. Le secrétaire les attendait dehors. Il leur
fit signe de le retrouver sous sa tente. Là, il les invita à s’asseoir, puis il
ordonna à l’un de ses domestiques de réveiller Callisthène, qui dormait
certainement à l’autre extrémité du camp. « Qu’en dites-vous ?
commença Eumène.
— De quoi ? demanda
Ptolémée.
— Voyons, c’est évident :
du refus du roi de liquider Memnon, répondit Séleucos.
— Je comprends Alexandre,
reprit le secrétaire, et vous le comprenez certainement, vous aussi. D’autre
part, nous ne pouvons qu’estimer notre adversaire : c’est un homme
exceptionnel, doté d’une grande habileté intellectuelle et expert en l’art de
manier l’épée. C’est justement pour cela qu’il constitue un péril mortel.
Imaginez qu’il parvienne à soulever les Grecs ; qu’Athènes, Sparte et
Corinthe passent dans son camp. Les armées alliées marcheraient vers le nord
pour envahir la Macédoine, la flotte perse attaquerait par la mer, la prenant
dans un étau… Sommes-nous vraiment certains des qualités d’Antipatros ? Et
s’il succombait ? Et si Memnon réveillait les ambitions d’un rejeton de la
branche dynastique des Lyncestides, tel que le commandant de la cavalerie
thessalienne, provoquant à la fois une guerre civile et une insurrection
militaire ? Quel destin attendrait notre pays et notre armée ? S’il
l’emportait, Memnon pourrait bloquer les Détroits et nous empêcher
définitivement de rentrer. Devons-nous courir ce risque ?
— Mais nous ne pouvons pas agir
contre la volonté d’Alexandre, répliqua Séleucos.
— Si, nous le pouvons, à la
condition qu’il l’ignore. Toutefois je refuse d’assumer la responsabilité d’un
tel geste. Si vous êtes d’accord, nous passerons à l’acte, sinon nous nous
contenterons d’affronter les risques éventuels.
— En admettant que nous soyons
d’accord, dit Ptolémée, quel serait ton plan ?
— Et pourquoi as-tu fait
appeler Callisthène ? », demanda Séleucos.
Eumène sortit un instant de sa tente
pour voir si l’historien arrivait, mais il ne l’aperçut pas.
« Écoutez, d’après ce que nous
savons, à l’heure qu’il est Memnon devrait se trouver à Chios. Il s’apprête à
faire voile vers le nord, sans doute en direction de Lesbos. Il attendra que le
vent lui soit favorable pour traverser la mer et aborder la Grèce. Mais il
devrait s’attarder un peu afin de se ravitailler et d’arrimer tout ce qui lui
est nécessaire. C’est à ce moment-là qu’il nous faudrait intervenir,
l’éliminant une fois pour toutes.
— Et comment ? interrogea
Ptolémée. Un tueur ou le poison ?
— Ni l’un ni l’autre. Un tueur
ne pourrait jamais
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