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Le Roman d'Alexandre le Grand

Le Roman d'Alexandre le Grand

Titel: Le Roman d'Alexandre le Grand Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Valerio Manfredi
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t’envoie une échelle. »
    Un peu plus tard, l’homme montait à
bord en utilisant l’échelle de corde qu’on lui avait jetée de la muraille, et
demandait à être conduit auprès du chef suprême.
    L’officier de garde le fouilla avant
de le faire entrer dans le château de poupe, où Memnon rédigeait les lettres et
lisait les rapports que lui adressaient les gouverneurs et les commandants des
garnisons perses demeurés fidèles au Grand Roi, ainsi que les informateurs
qu’il possédait dans toute la Grèce.
    « J’ai un message pour toi,
commandant », annonça l’homme en lui tendant un rouleau de papyrus.
    Memnon vit à son sceau qu’il venait
de son épouse. Il n’avait encore rien reçu d’elle depuis le jour de leur
séparation.
    « Y a-t-il autre chose ?
interrogea-t-il.
    — Non, commandant. Mais si tu
désires me confier une réponse, j’attendrai. »
    — Alors, va voir le maître
d’équipage et fais-toi donner à boire et à manger si tu en as envie. Je
t’appellerai dès que j’aurai terminé. »
    Resté seul, Memnon ouvrit la missive
en tremblant.
    Barsine à Memnon, son époux adoré,
salut !
    Mon bien-aimé, au terme d’un long
voyage nous sommes arrivés, sains et saufs, à Suse, où le roi Darius nous a
accueillis avec de grands honneurs. On nous a attribué une aile du palais, des
domestiques et des servantes, ainsi qu’un jardin d’une merveilleuse
beauté : un pairzdaeza rempli de fleurs colorées, de roses et de cyclamens
au parfum intense, de bassins et de fontaines où nagent des poissons rouges et
bleus, d’oiseaux du monde entier, de paons et de faisans issus de l’Inde et du
Caucase, de guépards apprivoisés, venus de la lointaine Éthiopie.
    Notre condition serait enviable si
tu n’étais pas si loin. Ma chambre est trop grande et trop froide.
    Il y a deux nuits, j’ai ouvert le
livre des tragédies d’Euripide que tu m’as offert, et j’ai lu Alceste, les
larmes aux yeux. J’ai pleuré, mon époux, en songeant à cet amour héroïque que
le poète a si bien décrit, et j’ai été particulièrement frappée par le passage
où l’homme promet à sa femme, qui marche vers la mort, qu’aucune autre ne la
remplacera. Il lui dit qu’il commandera un portrait d’elle à un grand artiste
et qu’il le mettra dans son lit, à ses côtés.
    Oh, si je pouvais faire de
même ! Si je pouvais faire appel à un grand artiste, un des maîtres yauna
de l’envergure de Lysippe ou d’Apelle, et lui demander de sculpter ton image ou
de peindre ton portrait, pour le placer dans mes appartements, au cœur de ma
chambre !
    Depuis que tu es loin, mon époux
adoré, je comprends la signification de votre art, la puissance troublante avec
laquelle vous autres yauna représentez la nudité des dieux et des héros.
    J’aimerais pouvoir contempler ton
corps nu, fût-il seulement une statue ou un portrait, puis fermer les yeux,
imaginer qu’un dieu décide de donner vie à cette image qui sortirait alors de
son tableau, descendrait de son piédestal, et s’allongerait à mes côtés comme
le jour où nous jouîmes ensemble pour la dernière fois, qui me caresserait avec
tes mains, m’embrasserait avec ta bouche.
    Mais la guerre t’éloigne de moi, la
guerre et son cortège de deuils, de pleurs et de destructions. Reviens-moi,
Memnon, laisse à un autre le commandement suprême des armées de Darius. Tu en
as déjà assez fait, personne ne te blâmerait, tout le monde vante tes exploits
dans la défense d’Halicarnasse. Reviens-moi, mon doux époux, mon magnifique
héros. Reviens-moi car toutes les richesses du monde ne valent pas un seul
instant dans tes bras.
    Memnon referma la lettre et se leva.
Il s’appuya contre le bastingage. Les lumières de la ville scintillaient
légèrement dans le soir paisible, et les cris des enfants, qui jouaient à
cache-cache dans les rues sombres et sur les places en profitant de l’ultime
tiédeur de l’automne, parvenaient jusqu’à lui. On entendait aussi, mais plus
loin, le chant d’un jeune homme – une sérénade pour sa bien-aimée, dont le
visage s’empourprait peut-être dans la pénombre.
    Il se sentit envahir par une immense
mélancolie, par une énorme lassitude mais les responsabilités qui pesaient sur
lui et l’estime que lui portaient nombre de ses soldats lui interdisaient de
s’abandonner à ce sentiment.
    Il avait appris que ses guerriers
irréductibles, retranchés sur l’acropole

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