Le Roman d'Alexandre le Grand
fort légitime,
observa Alexandre dans un sourire. Qui es-tu ? demanda-t-il au soldat.
— Je m’appelle Eudème, sire, et
je viens de Drabescos.
— Tu es marié ?
— Sire, je me suis marié avant
de partir. Je n’ai passé que deux semaines avec mon épouse. J’ai entendu dire
que nous ne rentrons pas en Macédoine, que nous nous dirigeons vers l’est.
Est-ce exact ? »
Alexandre songea que, décidément, la
troupe disposait d’un système d’information fort puissant, mais il n’en fut pas
étonné. « Oui, c’est exact », répondit-il.
Le jeune homme baissa la tête d’un
air résigné.
« Tu ne sembles pas très
enthousiaste à l’idée de suivre ton roi et tes camarades.
— Il ne s’agit pas de ça, sire,
je…
— Tu as envie de dormir aux
côtés de ton épouse.
— À dire la vérité, oui. Et
nous sommes nombreux à nous trouver dans les mêmes conditions. Nos familles ont
exigé que nous nous mariions parce que nous partions à la guerre, elles
voulaient que nous laissions un héritier au cas où… On ne sait jamais. »
Alexandre sourit. « Ne dis pas
un mot de plus. On m’a demandé aussi de me marier, mais un des rares avantages
du pouvoir est justement de choisir son épouse. Combien êtes-vous ?
— Six cent quatre-vingt-treize.
— Par les dieux, tu avais déjà
recensé tes amis ! s’exclama le souverain.
— Eh bien, voilà… Nous pensions
que l’hiver nous empêcherait de combattre, et nous voulions te demander…
— L’autorisation de regagner
votre domicile.
— Oui, sire, admit le soldat,
encouragé par l’affabilité d’Alexandre.
— Tes compagnons t’ont-ils
choisi pour les représenter ?
— Oui.
— Pourquoi ?
— Parce que…
— Exprime-toi sans crainte.
— Parce que j’ai été le premier
à poser le pied sur la brèche après que la muraille s’est écroulée. J’ai
attendu que le bélier l’ait enfoncée pour quitter la tour d’assaut en flammes.
— Perdiccas m’a parlé de cet
acte courageux sans me révéler le nom de son auteur. Je suis fier de te
connaître, Eudème, et je suis heureux d’exaucer ton souhait et celui de tes
camarades. Vous recevrez cent statères de Cyzique par personne ainsi qu’une
permission de deux mois. »
Les yeux du soldat brillaient
d’émotion. « Roi… je…, balbutia-t-il.
— À une seule condition.
— Tout ce que tu voudras, sire.
— À votre retour, chacun
d’entre vous m’amènera cent guerriers. Fantassins ou cavaliers, peu importe.
— Tu peux te fier à ma parole.
Considère qu’ils sont déjà enrôlés.
— Et maintenant, va. »
Ne sachant comment le remercier, le
soldat demeurait figé sur place.
« Alors ? Ne mourais-tu
pas d’envie de rejoindre ton épouse ?
— Oui, mais je voulais te dire…
je voulais te dire que… »
Alexandre sourit et lui fit signe de
patienter. Ouvrant un coffret, il en tira un collier en or, au bout duquel
pendait un petit camée représentant la déesse Artémis. Il le lui tendit.
« C’est la déesse protectrice des
épouses et des mères. Remets-le à ton épouse de ma part. »
Trop ému pour parler, le soldat
parvint seulement à murmurer : « Je te remercie, mon roi. » Sa
voix tremblait.
32
Les jeunes gens qui avaient exprimé le désir de rejoindre leurs épouses
partirent au début de l’automne pour la Macédoine. Parménion quitta
Halicarnasse un peu plus tard suivi d’une partie de l’armée et de la cavalerie
thessalienne. Après s’être entretenu avec le vieux général, le roi avait confié
le commandement de cette dernière à son cousin Amyntas, qui s’était toujours
comporté avec courage et loyauté. Le Noir, Philotas et Cratère s’unirent à eux.
Alexandre convoqua un conseil
restreint à l’occasion d’un dîner où il convia Séleucos, Ptolémée et Eumène.
Pour éviter d’éveiller les
jalousies, il avait fait en sorte qu’Héphestion et ses autres compagnons
fussent occupés dans les environs. Les trois hommes qu’il avait invités à
partager son repas eurent donc la sensation d’être restés au campement par
hasard. Mais le discours d’Alexandre leur montra que le roi avait besoin de
compter sur leur intelligence plutôt que sur leur force.
Les domestiques non plus ne furent
pas admis, et Leptine dut se charger de servir elle-même les convives qui
avaient pris place autour d’une table, comme à l’époque où ils assistaient aux
cours
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