Le Roman d'Alexandre le Grand
dynastique. Il l’avait accompagné en armes au palais, et
s’était toujours battu à ses côtés.
« Tu m’as fait emprisonner sans
même examiner les charges qui pèsent contre moi…, murmura-t-il d’une voix
tremblante. Et moi qui ai risqué ma vie pour toi à plusieurs reprises !
— Les rois n’ont pas le choix,
répliqua Alexandre. Surtout dans ce genre de moment. » Et il revoyait son
père s’écrouler sur les genoux dans une mare de sang, blêmir mortellement.
« Tu as peut-être raison : cette histoire n’a probablement pas de
sens, mais je ne peux pas faire comme si de rien n’était. Tu agirais comme moi
si tu étais à ma place. Je ne peux qu’abréger le plus possible ton humiliation.
Mais je dois d’abord savoir. Je t’enverrai un domestique pour que tu puisses
prendre un bain, et un coiffeur qui te lavera les cheveux et te rasera. Tu as
un aspect épouvantable. »
Il ordonna aux sentinelles de
prendre les mesures nécessaires pour qu’on s’occupe du prince Amyntas, puis il
se dirigea vers la tente de Parménion, où se déroulait le banquet. On entendait
des cris, des bruits de couverts, des gémissements et des grognements, et la
mélodie, plutôt fausse, des flûtes et d’autres instruments barbares qu’il
n’aurait pas su reconnaître.
Il pénétra sous la tente et la
traversa en enjambant à plusieurs reprises des corps nus et haletants,
accouplés de toutes les façons possibles sur les nattes qui recouvraient le
sol. Il alla s’étendre près d’Héphestion et se mit à boire. Il continua toute
la nuit, jusqu’à l’abrutissement et l’inconscience.
42
Callisthène se présenta un peu avant midi en compagnie d’un garde du
corps. Alexandre était assis à sa table de travail.
Son visage portait les traces de
l’orgie de la nuit précédente, s’il était sobre et concentré. Il contemplait
une feuille de papyrus étalée sur la table, une coupe fumante à la main. Elle
contenait sans doute une infusion que Philippe, le médecin, avait prescrite
pour atténuer les séquelles de sa cuite.
« Avance, lui dit-il.
J’aimerais que tu jettes un coup d’œil à cette lettre.
— De quoi s’agit-il ?
interrogea Callisthène en s’exécutant.
— D’une missive trouvée sur un
envoyé du Grand Roi et adressée à mon cousin Amyntas. Je voudrais que tu
l’examines et que tu me dises ce que tu en penses. »
Callisthène parcourut le texte sans
montrer aucun signe de surprise, puis il demanda : « Qu’as-tu besoin
de savoir ?
— Je ne sais pas… Qui en est
l’auteur, par exemple ? »
Callisthène se repencha sur la
lettre, cette fois-ci plus attentivement : « Elle a certainement été
rédigée par quelqu’un de cultivé et d’assez raffiné. En outre, le papyrus est
d’excellente qualité, tout comme l’encre. Je peux même… »
Non sans stupéfaction, Alexandre le
regarda lécher le bout de son doigt, le poser sur l’encre et le porter de
nouveau à ses lèvres.
« Je peux même te dire que ce
type d’encre est fabriqué en Grèce à partir du jus de sureau et du noir de
fumée…
— En Grèce ? interrompit
le roi.
— Oui, mais cela ne signifie
pas grand-chose. Les gens emportent leur encre dans leurs déplacements. Je m’en
sers, moi aussi, tout comme tes compagnons…
— Es-tu en mesure de tirer
d’autres renseignements de ce texte ? »
Callisthène secoua la tête.
« Je ne crois pas.
— Si quelque chose devait te
revenir à l’esprit, viens m’en informer sans tarder », lui dit Alexandre
avant de le remercier et de le renvoyer.
Dès que Callisthène fut sorti, le
roi fit appeler Eumène. Tout en l’attendant, il saisit son flacon d’encre, y
trempa la pointe de son doigt, le goûta et répéta l’opération qu’avait
effectuée l’historien. Il remarqua que les deux encres avaient le même goût.
C’est alors que son secrétaire
arriva. « Puis-je t’être utile ?
— Aurais-tu vu l’Égyptien dans
le camp ? demanda Alexandre.
— Parménion m’a dit qu’il était
reparti aussitôt après lui avoir livré ta réponse.
— Étrange. Essaie d’en savoir
plus, si tu le peux.
— Je ferai mon possible. Des
nouvelles de nos renforts ?
— Hélas, pas encore. »
Le secrétaire sortit en écartant un
pan du pavillon royal. Une rafale de vent froid pénétra par la fente et
éparpilla sur le sol les papiers que le roi consultait. Tandis que Leptine
ajoutait un peu de charbon
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