Le Roman d'Alexandre le Grand
qu’il avait achetés dans une ferme.
Chemin faisant, les mercenaires
avaient tenu conseil et décidé que l’un d’entre eux les précéderait jusqu’à la
route du Roi, d’où il enverrait un message à Barsine, de façon qu’elle puisse
venir à leur rencontre. En effet, ils ne nourrissaient aucun espoir que leur
commandant arrive vivant au palais royal de Suse, à deux mois de marche de là.
Pendant quelque temps, la maladie
parut accorder un répit à Memnon, qui recommença à s’alimenter, mais quand la
nuit tombait, sa température augmentait au point de lui brûler les tempes et
lui brouiller l’esprit. Alors, il délirait et des cris s’échappaient de ses
lèvres, les cris d’une vie entière d’affrontements, d’une terrible souffrance
infligée et subie, les gémissements et les pleurs d’espérances perdues et de
rêves envolés.
Le chef de son escorte, un homme de
Tégée, qui avait toujours combattu à ses côtés, le regardait alors avec
angoisse et lui passait un linge humide sur le front en grommelant :
« Ce n’est rien, commandant, ce n’est rien. Une stupide fièvre ne peut pas
abattre Memnon de Rhodes, non… » comme s’il voulait s’en persuader.
L’homme qu’on avait envoyé en avant
atteignit la route du Roi à hauteur du pont qui enjambait le fleuve Halys,
construit, disait-on, par Crésus de Lydie. Il apprit alors qu’il n’était pas
nécessaire de gagner Suse. En effet, ayant enfin décidé de donner une leçon au
petit yauna qui avait osé envahir ses provinces occidentales, le roi Darius se
dirigeait vers les portes syriennes, à la tête de cinq cent mille hommes, de
centaines de chars de guerre, de dizaines de milliers de cavaliers. Il était
parti avec toute sa cour, dont Barsine certainement. Ainsi l’invocation de
Memnon voyagea de montagne en montagne aussi rapidement que la lumière des
bûchers et le reflet des miroirs en bronze, que le galop effréné des étalons
nyséens, et fut délivrée au Grand Roi, dans son pavillon de pourpre et d’or. Et
le Grand Roi fit appeler Barsine.
« Ton époux est gravement
malade, lui annonça-t-il, et il s’enquiert de toi. Il parcourt notre route
royale dans l’espoir de te revoir une dernière fois. Nous ignorons si tu
pourras le rejoindre avant qu’il ne meure, mais si tu souhaites aller à sa
rencontre, nous te donnerons une escorte composée de dix Immortels de notre
garde. »
Barsine eut l’impression que son
cœur s’éteignait, mais elle ne broncha pas, ne versa pas la moindre larme.
« Grand Roi, je te remercie de m’avoir avertie et de me permettre de
partir. J’irai vers mon époux et je ne serai pas en paix, je n’aurai pas de
repos, tant que je ne l’aurai pas retrouvé et embrassé. »
Elle regagna sa tente et, comme une
Amazone, enfila un corset de feutre et un pantalon de cuir, prit le meilleur
cheval qu’elle trouva et s’élança au grand galop, suivie à grand-peine par les
gardes que le Grand Roi lui avait assignés.
Elle voyagea des jours et des nuits,
se reposant quelques heures à peine quand elle changeait de cheval, ou quand la
fatigue rendait ses membres insensibles. Un soir, au coucher du soleil, elle
finit par apercevoir un petit convoi, qui avançait d’un pas inégal le long de
la route semi-déserte : une carriole couverte, tirée par deux mulets,
escortée par quatre hommes armés, à cheval.
Elle rejoignit la carriole et sauta
à terre. Le commandant Memnon gisait à l’intérieur du véhicule, sur des peaux
de mouton. Sa barbe était longue et ses lèvres gercées, ses cheveux hirsutes.
L’homme le plus puissant du monde après le Grand Roi n’était plus qu’une larve
humaine.
Mais il était encore vivant.
Barsine le caressa et l’embrassa
tendrement sur la bouche et les yeux sans savoir s’il la reconnaissait ou pas.
Puis elle balaya les alentours d’un regard angoissé, à la recherche d’un abri.
Elle aperçut au loin, sur une colline, une maison de pierre, et enjoignit à ses
hommes de demander l’hospitalité à son propriétaire pour quelques jours, ou
quelques heures – elle l’ignorait.
« Je veux un lit pour mon mari,
je veux le laver et le changer de vêtements, je veux qu’il meure comme un
homme, et non comme une bête », dit-elle.
Le chef des gardes s’exécuta et peu
après, Memnon fut transporté dans la demeure, accueilli avec tous les honneurs
par le maître de maison perse, qui ordonna qu’on lui prépare un bain.
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