Le Roman d'Alexandre le Grand
macédoniennes.
Les nouveaux venus traversèrent le
campement en bon ordre, salués par des sonneries de trompette et par le
détachement des hétairoï, qui présentait les armes. Ils se placèrent devant
l’estrade qui se dressait à côté du pavillon royal. L’armée au complet se rangea
derrière eux. Avec leurs manteaux blancs et leurs chitons rouges, les pages
étaient particulièrement voyants. Ces jeunes gens appartenaient à la meilleure
noblesse de Macédoine, ils étaient venus servir leur roi, comme jadis
Perdiccas, Ptolémée, Lysimaque et les autres compagnons s’étaient mis au
service du roi Philippe, au palais royal de Pella.
On entendit bientôt d’autres
sonneries de trompette du côté de la porte orientale, annonçant l’arrivée du
souverain. Tout le monde se tourna dans cette direction.
« Oh, par tous les dieux,
murmura Ptolémée en portant une main à son front. Il arbore encore des
vêtements perses.
— On saura maintenant à quoi
s’en tenir, commenta Séleucos d’un air impassible. Cela vaut mieux comme ça,
crois-moi. »
Alexandre arriva au galop, monté sur
Bucéphale. Sa robe perse de soie fine flottait dans le vent, comme un voile,
l’écharpe qui encadrait son visage se croisait sur sa poitrine et sur ses
épaules, lui donnant un aspect insolite, et pourtant étrangement séduisant.
Il sauta à terre devant l’estrade,
dont il monta lentement les marches, puis fit volte-face et se dressa devant
les vétérans et les recrues, sous le regard stupéfait des soldats. Les pages le
regardaient comme s’ils n’en croyaient pas leurs yeux.
« J’ai voulu accueillir
moi-même les nouvelles recrues que notre régent Antipatros nous a envoyées,
commença-t-il, et les jeunes gens que la noblesse de Macédoine nous a confiés
afin qu’ils grandissent au service de leur roi et apprennent à devenir des
guerriers courageux et loyaux. Vos yeux sont emplis de stupeur, comme si un
fantôme vous était apparu. Il est facile de deviner que la kandys que je porte,
et l’étoffe qui m’entoure le visage en sont la raison. Oui, j’ai enfilé des
vêtements perses sur le chiton du guerrier grec, et je l’ai fait dans un but
bien précis : à présent, je ne suis plus seulement le souverain des seuls
Macédoniens. Je suis aussi le pharaon d’Égypte, le roi des Babyloniens et le
Grand Roi des Perses. Darius est mort et j’ai épousé la princesse Stateira, je
suis donc son successeur. En tant que tel, je revendique l’autorité sur son
empire, et j’entends la faire valoir en poursuivant l’usurpateur Bessos et en
le débusquant. Nous le capturerons et nous lui infligerons la punition qu’il
mérite.
« Je vais faire distribuer des
présents aux nouveaux arrivés. Ce soir, vous aurez droit à un bon dîner, et le
vin coulera à flots. Je veux que vous vous amusiez et que vous soyez gais car
nous repartirons bientôt pour ne plus nous arrêter tant que nous n’aurons pas atteint
notre but ! »
Ce discours fut suivi
d’applaudissements tièdes, mais Alexandre ne fit rien pour qu’ils s’enflamment
et se multiplient. Il devinait l’état d’âme de ses hommes et de ses compagnons,
il mesurait la perplexité des pages, fraîchement débarqués de Macédoine, aux
yeux de qui il était déjà une légende vivante. Le roi qui se dressait devant
eux portait les vêtements des barbares vaincus, ces mêmes barbares qu’ils
jugeaient efféminés. Mais ce n’était pas tout. Il s’apprêtait à leur annoncer
des décisions plus graves.
Il attendit que le silence revienne
pour reprendre la parole. « L’aventure que nous allons entreprendre sera
aussi difficile que celle que nous avons vécue jusqu’à présent, et les troupes
que le régent nous a envoyées ne sont pas suffisantes. Nous devrons nous battre
contre des ennemis que nous n’avons jamais vus ni affrontés, nous devrons
imposer des garnisons dans des dizaines de villes et de forteresses, nous
heurter à des armées plus importantes encore que celles que nous avons battues
à Issos et à Gaugamèle… »
Un lourd silence était descendu sur
le camp et tous les regards étaient fixés sur le visage d’Alexandre, toutes les
oreilles étaient tendues pour éviter de perdre un seul de ses mots…
« Voilà pourquoi j’ai pris une décision qui vous déplaira peut-être, mais
qui est absolument nécessaire. En considérant que nous ne pouvons pas saigner
notre patrie par des levées qui dégarniraient
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