Le Roman d'Alexandre le Grand
d’Alexandre. Constatant qu’il était tard, il s’apprêta à prendre congé.
Mais avant de franchir le seuil de la tente, il se retourna une dernière fois
car il se sentait obligé d’ajouter une dernière chose et de donner un conseil à
son ami : « Alexandre ne cesse de changer car sa curiosité est
insatiable et sa force vitale inépuisable. Il ressemble à l’alcyon qui, dit-on,
ne se pose jamais sur la terre ferme, et dort en se laissant porter par le
vent. Si tu n’as pas envie de le suivre, va-t’en, Callisthène, retourne sur tes
pas avant qu’il ne soit trop tard. »
Sur ces mots, il sortit. Callisthène
se pencha à nouveau sur son Histoire de l’expédition d’Alexandre, qu’il relut à
la lumière d’une lanterne. Mais la voix d’un domestique l’arracha bientôt à son
travail : « Maître, un homme veut te voir. Il est arrivé avec les
renforts et te cherche depuis un moment. Il a besoin de te parler.
— Fais-le passer et verse-nous
à boire. »
L’homme pénétra sous la tente et se
présenta. Il se nommait Évonyme, était né à Byzance, mais vivait en Thrace, non
loin de Néapolis. Un grand savant de Stagire lui avait confié un message en le
priant de le remettre à Callisthène. Il lui avait versé une somme d’argent pour
l’accomplissement de cette mission et lui avait garanti que le destinataire le
récompenserait également.
« C’est moi, dit l’intéressé en
s’emparant de sa bourse. Voici deux statères flambant neufs en remerciement de
ta gentillesse. Puis-je avoir le message ? »
L’homme lui tendit la missive,
empocha l’argent et s’en alla après avoir accepté un verre de vin.
Le message était le suivant :
Aristote à son neveu Callisthène,
salut !
J’espère que tu es en bonne santé.
Je suis, pour ma part, tourmenté par une douleur à l’épaule qui ne me laisse
pas un instant de répit, même la nuit. Je me demande où cette lettre t’arrivera
et si elle te trouvera dans de bonnes dispositions. Alexandre m’envoie depuis
un certain temps une grande quantité de plantes et d’animaux rares pour mes
collections, ce qui me laisse croire que vous ne cessez de marcher vers des
territoires lointains et inconnus.
Quant à moi, je suis retourné en
Macédoine et en Thrace pour poursuivre mes recherches dans mes moments de
liberté. L’homme qui prétendait s’appeler Nicandre se nomme en réalité Eupite.
Comme je te l’avais dit dans une précédente lettre, il cachait sa fille dans un
temple d’Artémis en Thrace, non loin de Salmydessos. Je l’ai retrouvée avec
l’aide d’un officier d’Antipatros, et je l’ai fait conduire dans un lieu sûr.
Son père a donc dû parler pour obtenir le droit de la revoir.
Il a avoué, je pense, tout ce qu’il
savait : Pausanias a été tué par un garde épirote qui s’était entendu avec
les assassins du roi. Eupite était chargé de trouver une cachette pour ce
garde, et de le faire disparaître. Les indices semblent nous conduire une
nouvelle fois vers la reine mère, mais il est important de chasser tous nos
préjugés avant de faire le point sur cette affaire.
Cet homme est encore vivant, il
habite un village de montagne en Phocide, non loin d’Aliartos. C’est là que
j’ai l’intention de me rendre, dès que le temps, qui est fort mauvais pour
l’instant, sera plus clément, et que ma douleur à l’épaule m’aura abandonné.
Prends soin de toi.
Callisthène referma la lettre,
éteignit la lanterne et se coucha en évoquant de belles pensées pour trouver le
sommeil.
La marche reprit quelques jours plus
tard. La veille du départ, le roi offrit à ses compagnons, aux commandants des
divers détachements de la phalange et de la cavalerie des hétairoï un
harnachement en argent à la manière perse et un manteau de pourpre. Personne
n’osa refuser ces présents, pas même Cleitos le Noir, mais ni lui ni Philotas
n’en firent usage. Stateira fut conduite à Ectabane avec ses dames de
compagnie ; elle devait ensuite rallier Persépolis car elle souhaitait se
recueillir sur la tombe de son père. Alexandre la quitta avec regret.
« Serai-je dans tes
pensées ? lui demanda la jeune femme tandis que les servantes préparaient
le départ.
— Toujours, même au milieu de
la bataille, même dans des territoires lointains, où nos constellations
avoisineront le fil de l’horizon. Toi aussi, douce épouse, garde-moi dans tes
pensées.
— Emmènes-tu
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