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Le Roman d'Alexandre le Grand

Le Roman d'Alexandre le Grand

Titel: Le Roman d'Alexandre le Grand Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Valerio Manfredi
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excessivement sa défense, j’ai
décidé d’enrôler trente mille Perses et de les instruire selon la technique
militaire de notre pays. Leur entraînement commencera sans tarder : dès
demain, les chefs de toutes les satrapies de l’empire recevront des
instructions précises à ce sujet. »
    Il n’y eut aucun applaudissement,
aucune question, aucun commentaire. Dans ce silence de plomb, le roi était plus
seul qu’il ne l’avait jamais été. Seul Héphestion s’approcha de lui. C’est lui
qui tint les rênes de Bucéphale pendant qu’Alexandre bondissait sur son dos,
avant de s’éloigner aussitôt au galop.
     

32
    Eumène referma le rouleau de papyrus et plongea les yeux dans ceux de
Callisthène. « C’est donc ainsi que tu vois Alexandre ?
    — Je devrais peut-être
dire : « C’est ainsi qu’Alexandre devrait être », répondit
Callisthène d’un air perplexe.
    — Le devoir de l’historien est
de raconter les faits tels qu’ils se sont déroulés, après les avoir observés
directement ou avoir consulté des témoins directs et dignes de foi, répliqua le
secrétaire comme s’il récitait une formule apprise par cœur.
    — Crois-tu que j’ignore quel
est le devoir de l’historien ? Mais il faut aussi que j’essaie
d’interpréter l’âme et les pensées d’Alexandre, de les rendre compréhensibles à
ceux qui liront mon œuvre. Je t’ai permis de lire ce que j’ai écrit car j’ai
besoin de ton soutien, et parce que tu rédiges toi-même le journal de cette
expédition, mais aussi…
    — Parce que ta page est trop
étroite pour Alexandre, tout comme les limites que tu as tracées autour de lui
avec ton œuvre ?
    — C’est possible.
    — Il faut que tu te
résignes : Alexandre a cessé d’être l’homme que nous connaissions. Il ne
l’a peut-être jamais été.
    — « Je jure devant tous
les Grecs de mener une expédition panhellénique contre la Perse, notre ennemi
séculaire. »
    — Il a tenu sa promesse. Et il
l’a emporté. Il a été le premier et le seul à le faire. »
    Callisthène se leva brusquement dans
un mouvement d’impatience. « Oui, mais il est en train de devenir l’un
d’eux : il s’habille comme eux, s’entoure d’eunuques et de concubines,
fait enseigner à ces soldats notre technique de combat. On dit même qu’il prend
des leçons de perse, on dit… qu’hier, au cours d’une de ces fêtes barbares, il
a embrassé en public ce… ce Bagoas sur les lèvres.
    — Il a décidé de scandaliser
ceux dont les opinions sont semblables à la tienne, voilà tout, rétorqua
Eumène. Il veut nous montrer que nous sommes arrivés à un point de non retour.
Quant à ces fêtes, elles ne me semblent pas plus barbares que les vôtres. Il
nous faut accepter ce qu’il est, et a toujours été, crois-moi, oublier l’image
que nous nous étions faite de lui pour nous rassurer.
    — Nous rassurer ?
    — Oui, l’image que tu montres
de lui dans ton Histoire est une image rassurante, qu’un Grec disposant d’une
bonne éducation et d’idées politiques relativement modérées n’aura aucune
difficulté à comprendre et à aimer. Mais Alexandre est bien différent…
    — Oh, cela ne fait aucun doute,
et il ne perd pas une occasion de nous le rappeler. Les hommes sont
déconcertés, les recrues et les jeunes pages venus de Macédoine sont
scandalisés. Ils pensaient trouver un héros, un conquérant, l’héritier
d’Achille et d’Héraclès, et ils ont découvert un homme portant des vêtements
féminins, qui adopte chaque jour des coutumes barbares, des usages méprisants
et honteux.
    — Des usages qui diffèrent de
ceux auxquels nous sommes habitués, Callisthène. Il nous a conduits sur des
territoires qu’aucun Grec n’avait encore foulés, sous un autre ciel, à travers
des déserts et des hauts plateaux ; il nous a fait franchir le Nil, le
Tigre et l’Euphrate, et il rêve à présent de l’Indus. Il était inévitable que
tout change, ne le comprends-tu pas ?
    — Je le comprends, mais je ne
l’accepterai jamais.
    — Le lui as-tu dit ?
    — Bien sûr.
    — Et qu’a-t-il répondu ?
    — Il a répondu :
« Écris ce que tu veux, Callisthène. » Cela lui est égal, tout lui
est égal à présent. »
    Eumène préféra garder le
silence : il mesurait l’amertume de son interlocuteur et comprenait que
rien, désormais, ne pourrait plus modifier ses convictions et l’image qu’il se
faisait

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