Le Roman d'Alexandre le Grand
Comment expliquer autrement le fait qu’il avait
réussi à monter, dès sa première tentative, le démon noir qu’il avait ensuite
nommé Bucéphale, et à le rendre aussi doux qu’un agneau ?
Et par quel mystère Péritas, un
animal capable de briser la patte d’un porc d’un seul coup de mâchoire,
languissait-il sans se nourrir, ou presque, couché pendant des heures sur la
route où son maître avait disparu ?
Quant à Leptine, la jeune fille
qu’il avait arrachée à l’enfer du mont Pangée, elle préparait chaque jour le
lit et le bain d’Alexandre, comme s’il devait arriver d’un moment à l’autre. Et
elle ne parlait à personne.
Philippe commença aussi à se soucier
de la solidité de ses liens avec le royaume d’Épire, sévèrement menacée par la
présence d’Olympias auprès de son frère, le jeune souverain. La reine était dévorée
d’une telle haine qu’elle semblait prête à tout pour lui nuire et bouleverser
ses projets aussi bien politiques que familiaux. Le roi Alexandre lui était
acquis, mais son cœur battait probablement pour son neveu, errant en exil au
milieu des terres barbares. Il fallait donc le lier plus solidement au trône de
Pella, écarter la reine et ses influences maléfiques. Il n’y avait qu’une
solution, et pas de temps à perdre.
Un jour, Philippe fit appeler sa
fille Cléopâtre, le seul membre de sa première famille encore à Pella.
La princesse était dans la splendeur
de ses dix-huit ans. Elle avait de grands yeux verts, de longs cheveux aux
reflets cuivrés et un corps digne d’une déesse de l’Olympe. Il n’y avait pas de
noble macédonien qui ne rêvât de l’obtenir en mariage.
« Il est temps, à présent, que
tu te maries, ma fille », lui dit-il.
Cléopâtre baissa la tête.
« J’imagine que tu as déjà choisi mon époux.
— En effet, confirma Philippe.
Ce sera le roi Alexandre d’Épire, le frère de ta mère. »
La jeune fille observa un moment de
silence, mais il était facile de comprendre que la décision de son père ne lui
déplaisait pas. Son oncle était un beau jeune homme, fort courageux et très
aimé de ses sujets, doté, qui plus est, d’un caractère semblable à celui
d’Alexandre.
« Tu ne dis rien ? demanda
le souverain. T’attendais-tu à quelqu’un d’autre ?
— Non, père. Sachant que ce
choix te revenait je n’avais pensé à personne, afin de ne pas te contrarier.
Mais je voudrais te poser une question.
— Parle, ma fille.
— Mon frère Alexandre sera-t-il
invité à mes noces ? »
Philippe lui tourna brusquement le
dos, comme frappé par un coup de fouet. « Ton frère n’existe plus, pour
moi », dit-il d’une voix glaciale.
Cléopâtre fondit en pleurs.
« Mais pourquoi, papa ? Pourquoi ?
— Tu le sais très bien. Tu
étais là. Tu as vu comment il m’a humilié devant les représentants de toutes
les villes de Grèce, devant mes généraux et mes notables.
— Papa, il…
— N’essaie pas de le
défendre ! cria le roi. J’ai appelé Aristote à la cour pour qu’il l’instruise,
j’ai invité Lysippe pour qu’il sculpte une statue de lui, j’ai frappé des
pièces de monnaie à son image. Comprends-tu ce que cela signifie ? Non, ma
fille, ses insultes et son ingratitude ont dépassé les bornes… »
Cléopâtre sanglotait, le visage
caché dans ses mains. Philippe aurait aimé s’approcher, mais il refusait de se
laisser émouvoir, il ne le pouvait pas.
« Papa…, insista la jeune
fille.
— Je t’ai dit de ne pas le
défendre !
— C’est pourtant ce que je vais
faire. J’étais présente, ce jour-là, et j’ai vu ma mère te regarder, pâle comme
une morte, tandis que tu posais tes mains sur les seins de ta jeune épouse et
que tu lui caressais le ventre. Alexandre aussi l’a vu, et il aime sa mère. Ne
le devrait-il pas ? Devrait-il l’effacer de sa vie, ainsi que tu l’as
fait ? »
Philippe s’emporta. « C’est
Olympias ! C’est elle qui t’a monté contre moi ! N’est-ce pas ?
hurla-t-il, rouge de colère. Vous vous dressez tous contre moi ! »
Cléopâtre se jeta à ses pieds et
serra les genoux de son père entre ses bras. « Ce n’est pas vrai, ce n’est
pas vrai, papa, nous voulons seulement que tu recouvres la raison. Certes,
Alexandre a commis une erreur… » À ces mots, Philippe sembla se calmer.
« Mais ne peux-tu pas le comprendre ? Ne peux-tu pas essayer de le
comprendre ? Si l’on
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