Le Roman d'Alexandre le Grand
des
Perses, Arsès, a été assassiné et remplacé par un prince issu d’une branche
collatérale, un dénommé Darius III. À ce qu’il paraît, il ne manque pas de
dignité, mais il sera occupé pendant un certain temps à consolider son pouvoir.
« Le moment d’agir est donc
venu. Attale et Parménion partiront au plus vite à la tête d’une armée de
quinze mille hommes et passeront en Asie, où ils occuperont la rive orientale
de notre mer en proclamant ma décision de libérer les villes grecques sous
domination perse. Pendant ce temps, je m’occuperai de l’enrôlement de nouveaux
soldats, dans l’attente de vous rejoindre et de donner le signal du début de
l’invasion. »
Le reste de la réunion fut consacré
à l’examen des détails et à la résolution des problèmes logistiques, politiques
et militaires de cette première phase. Mais tout le monde fut frappé par le ton
négligé avec lequel le souverain s’exprimait, brusquement privé de son
enthousiasme et de sa fougue habituels. Si bien qu’au terme de la réunion,
Parménion lui demanda en s’approchant de lui :
« Quelque chose ne va pas,
sire ? Tu ne te sens pas bien ? »
Philippe posa la main sur son épaule
et l’accompagna vers la porte. « Non, mon vieil ami, non. Tout va
bien. »
Il mentait. Plus les jours
passaient, plus l’absence d’Alexandre, à laquelle il n’avait pas accordé
beaucoup d’importance dans un premier temps, le tourmentait. Tant que le jeune
homme était demeuré en Épire avec sa mère et son oncle, Philippe n’avait songé
qu’à l’inciter à revenir et à faire acte de soumission publique, mais le refus
que son fils lui avait opposé et sa fuite vers le Nord avaient provoqué en lui
colère, appréhension et découragement.
Si un membre de son entourage
tentait d’intercéder en faveur du prince, il s’emportait au souvenir de
l’outrage subi ; si personne ne lui en parlait, il s’inquiétait de cette
absence de nouvelles. Il avait lancé ses espions partout, avait envoyé des
messagers aux rois et aux chefs de tribu du Nord, ses clients afin d’être sans
cesse informé des mouvements d’Alexandre et d’Héphestion. Il apprit ainsi
qu’ils avaient accueilli six jeunes guerriers venus de Thessalie, d’Acarnanie
et d’Atamanie, et il ne lui fut pas difficile de deviner de qui il s’agissait.
La troupe d’Alexandre s’était
presque entièrement reconstituée. Il ne se passait pas un jour sans que
Philippe ne recommande à Parménion de surveiller son fils pour éviter qu’il ne
rejoigne cette bande de malheureux errant dans les neiges de l’Illyrie. Eumène
non plus n’échappait pas à ses soupçons. Le roi semblait même s’attendre que le
jeune homme abandonne son bureau et ses papiers d’un jour à l’autre pour se
lancer dans l’aventure.
Parfois il se rendait seul dans
l’ancien palais royal d’Aigai. Des heures durant, il observait les flocons qui
tombaient sur le paysage silencieux, sur les bois de sapins bleus, sur la
petite vallée où sa dynastie s’était fondée, et il pensait à Alexandre et à ses
amis qui parcouraient les froides contrées du septentrion.
Il avait l’impression de les voir
avancer péniblement dans la tempête, alors que leurs chevaux s’enfonçaient dans
la neige jusqu’au ventre et que le vent faisait claquer leurs vêtements
déchirés et incrustés de glace. Il posait les yeux sur le grand foyer de
pierre, sur les belles bûches de chêne qui y brûlaient en répandant un air
tiède entre les vieux murs de la salle du trône, et il imaginait les garçons
amassant du bois trempé sous leurs abris de fortune et oubliant leur fatigue
pour préparer un misérable bivouac ; ou encore debout dans la nuit,
appuyés à leurs lances, tandis que les hurlements des loups se rapprochaient.
Puis les nouvelles devinrent plus
inquiétantes, et ce, d’une façon surprenante. Non seulement Alexandre et ses
camarades étaient parvenus à hiverner au prix de dures privations, mais ils
s’étaient offerts comme alliés à des chefs de tribus qui vivaient à l’abri des
frontières macédoniennes, et avaient participé à leurs luttes internes en
réussissant à lier sur le champ de bataille des pactes d’amitié, voire de
soumission. Ce qui, tôt ou tard, risquait de constituer une menace.
Il y avait quelque chose, chez ce
garçon, qui fascinait irrésistiblement tous ceux qui le rencontraient :
hommes, femmes et même animaux.
Weitere Kostenlose Bücher