Le Roman des Rois
condition. Ils imposent au pauvre peuple, comme à l’Église,
un joug encore plus despotique. Reconnais en somme que tu es gouvernée par un prince d’humeur bienveillante, et ne te plains pas, obéissant à un tel roi, de ne pas être courbée sous la triste domination de Richard, l’Anglais, ou rongée par la dure tyrannie d’un roi allemand. »
9.
« Je suis le roi de France, Philippe II Auguste, et les seigneurs de Champagne, de Flandre et d’Anjou sont mes vassaux. »
Cette phrase, Philippe Auguste l’a prononcée pour la première fois le jour de son sacre, en la cathédrale de Reims, le 1 er novembre 1179.
Il n’a que quatorze ans et lorsqu’il regarde autour de lui, il ne voit sous la nef que les féodaux dont la gloire, la puissance, la richesse, l’expérience, l’influence l’écrasent.
Il tend les muscles de son corps, redresse la tête pour montrer qu’il possède en lui toute la force du suzerain.
Et c’est pourquoi il répète en remuant à peine les lèvres – mais Eudes de Thorenc l’entend : « Je suis le roi de France, et mes vassaux me doivent obéissance et assistance. »
Il ne baisse pas les yeux devant l’archevêque de Reims, Guillaume aux Blanches Mains, qui le sacre.
L’archevêque est le légat du pape et le représentant de la famille des comtes de Champagne. Mais il est le seul à être présent à Reims. Ni Henri, comte de Champagne, ni Thibaud, comte de Blois et de Chartres, ni Étienne de Sancerre ne sont venus.
Philippe Auguste ressent leur absence comme un défi. Leur soeur, Adèle de Champagne, sa propre mère, est restée auprès
de son époux malade, le roi Louis VII. Il a le sentiment qu’on l’a poussé là comme une proie livrée sans appui à l’ambition de ses oncles de Champagne.
Cette famille-là, Philippe Auguste le sait, encercle le domaine royal et rêve de gouverner la France. Adèle n’est-elle pas épouse et mère de roi de France ? Sans doute ses frères et elle-même imaginent-ils que ce roi de quatorze ans, ce Philippe Auguste dénué d’expérience, tendre comme un écuyer, se laissera guider.
Ils ne sont pas seuls à vouloir lui tenir les rênes.
Il y a Philippe d’Alsace, comte de Flandre, vassal à la fois du roi de France et de l’empereur d’Allemagne. Il est venu à Reims accompagné du comte de Hainaut, Baudouin, dont la fille, Isabelle, est promise à Philippe Auguste.
Baudouin a fait son entrée dans la cathédrale entouré de quatre-vingts chevaliers, montrant par là sa puissance et sa richesse.
C’est le comte de Flandre qui porte l’épée royale dans la nef, c’est encore lui qui sert de porte-mets au cours du festin d’apparat qui clôt la journée du sacre.
Philippe le regarde à la dérobée.
Ce vassal grand seigneur est par ailleurs le parrain militaire du roi. Lui aussi a l’ambition de gouverner Philippe Auguste, à l’instar des comtes de Champagne.
Mais deux ambitions peuvent s’entredévorer. Philippe ne doute plus qu’il peut, s’il joue habilement, tenir lui-même et lui seul les rênes de son royaume.
Personne ne pourra les lui arracher, pas même Henri II Plantagenêt, seigneur d’Anjou et par là son vassal, mais aussi roi d’Angleterre et possédant avec ses fils – Henri le Jeune, Richard Coeur de Lion, comte de Poitou, Geoffroy, comte de
Bretagne, et le benjamin, Jean sans Terre – plus de la moitié de la France ! Celui-là convoite l’autre moitié, l’Auvergne et le Languedoc.
Il y a donc trois familles ambitieuses, celles de Champagne, de Flandre et d’Anjou-Plantagenêt, et au sein de chacune d’elles des rivalités que Philippe peut utiliser.
Mais il lui faut agir sans attendre, s’emparer des rênes.
Il entre dans la chambre où son père gît, paralysé. Adèle de Champagne est là qui veille pour les siens, ses frères champenois.
Philippe Auguste l’écarte et sa mère le maudit. Mais il s’approprie le sceau royal. Désormais, Louis VII n’est plus que le corps figé d’un homme qui attend la mort.
Le vrai roi, le seul, est Philippe Auguste.
Il fait aussitôt saisir tous les châteaux censés revenir à sa mère après la mort de Louis VII. Il rompt ainsi avec ses oncles de Champagne.
Il épouse Isabelle de Hainaut, manière de s’allier contre les « Champenois » avec les seigneurs de Flandre. Et il obtient en dot l’Artois, avec les villes opulentes d’Arras et de Saint-Omer.
Ce ne peut être l’archevêque de Reims,
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