Le Roman des Rois
Breton.
Mon aïeul, Henri de Thorenc, ne se contente pas de ces deux lignes :
« Un évêque, écrit-il, demanda que les habitants fussent tous mis à mort comme hérétiques. Aussitôt, le cri et le tumulte s’élèvent. On court dans la ville avec des armes tranchantes, et alors commence l’effroyable tuerie. Les chairs, le sang, les cervelles, les troncs, les membres, les corps morts et pourfendus, les foies, les poumons brisés gisent par les places comme s’il en avait plu. La terre, le sol, la rue sont rouges du sang répandu.
Il ne reste ni hommes, ni femmes, jeunes ou vieux, aucune créature n’échappe à moins de s’être tenue cachée. La ville est détruite et le feu l’embrase.
« J’étais aux côtés du prince Louis de France, poursuit Henri de Thorenc, quand la fumée des incendies qui ravageaient Marmande et transformaient la ville en gigantesque bûcher a obscurci le ciel.
C’était un mauvais présage. Les morts de Marmande allaient nous poursuivre.
J’ai craint pour la vie de Louis le Huitième, car même s’il n’avait pas donné l’ordre du massacre, il l’avait laissé accomplir. Et aucun de nous, qui l’entourions sous la tente, n’avions élevé la voix.
Je pense encore qu’il n’y a pas de place pour les hérétiques dans le royaume de France. Mais j’ai entendu les cris des enfants et de leurs mères qu’on égorgeait comme des pourceaux.
Or Dieu les avait faits à notre image.
Et, durant les nuits sans sommeil, j’ai imaginé que le Diable nous avait empoisonné l’esprit et crevé les yeux.
« Dieu a-t-Il voulu nous punir pour les bûchers dans lesquels nous avions jeté nos frères humains égarés ?
Raimond de Toulouse remporte toutes les batailles contre l’armée d’Amaury de Montfort.
Nous dressons notre camp sous les murs de Toulouse, mais en vain, puisque la ville résiste et que les machines de guerre des hérétiques nous accablent de leurs pierres et de leurs traits.
Le 1 er août 1219, Louis décide de regagner le royaume de France.
« Je l’avais devancé, annonçant à Philippe Auguste qu’Amaury de Montfort léguait ses domaines au roi de France.
Je m’étonnai de l’impassibilité avec laquelle il accueillit ce don qui augmentait encore le domaine royal.
N’avait-il pas dit qu’il fallait récolter au sud ce qu’on n’avait pu moissonner au nord ?
“Amaury de Montfort me donne ce qu’il ne peut garder”, murmura le roi.
Puis il se leva, les mains sur ses reins comme pour contenir une souffrance.
Il ordonna que deux cents chevaliers et dix mille hommes à pied se missent en marche, pour gagner le Languedoc, sous
les ordres de l’archevêque de Bourges et du comte de la Marche.
“Nous devons certes accepter ce que le destin nous donne, ajouta-t-il, mais il faut goûter avant d’avaler. Il suffit d’une goutte de poison pour mourir.” »
36.
La mort est venue se glisser dans le corps du roi en ces jours de septembre 1222 alors que s’achevait sa cinquante-septième année de vie.
Durant ces derniers mois, jusqu’à ce que, le 14 juillet 1223, à Mantes, la mort le saisisse, je ne l’ai pas quitté, couchant devant sa chambre, le couvrant de laine et de fourrure quand la fièvre le faisait grelotter, lui servant à boire, épongeant son front couvert de sueur. Il avait froid et brûlait, murmurant que cette maladie – il tenait à ce que je m’en souvienne – s’était emparée de lui en Terre sainte, qu’elle était comme un remords qu’il gardait en lui, pour n’avoir pu délivrer le Saint-Sépulcre.
Et maintenant il lui fallait combattre devant Dieu, qui jugerait. Et Dieu serait d’autant plus sévère qu’Il lui avait accordé longue vie et long règne.
« Je dois me préparer », avait répété, chaque jour de ces dix derniers mois, Philippe Auguste.
Henri de Thorenc ne mentionne pas le présage céleste dont parlent d’autres chroniqueurs.
Je rapporte ici leurs écrits qui, tous, décrivent le passage d’une comète d’un rouge éclatant qui ne s’efface que lentement, laissant le ciel embrasé.
On prie dans toutes les églises et abbayes du domaine royal, se borne à indiquer Henri de Thorenc. Certains prédicateurs annoncent la guérison prochaine du roi, d’autres supplient le Seigneur de l’accueillir parmi les saints, car le roi fut bon et juste.
J’atteste que, durant ses derniers mois de vie, son âme fut tout entière occupée de donner à ceux qui étaient
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