Le Roman des Rois
assemblée l’a acclamé. Les mendiants tendaient leurs mains, les malades montraient leurs plaies. On entendait crier : “Le roi te touche, Dieu te guérit !”
Sur ordre du roi, on a lancé des poignées de pièces à la foule, et ce fut le tumulte des pauvres ressemblant à des bêtes affamées qui se disputent des lambeaux de viande ou quelques poignées de grains.
Louis VIII ne s’est pas avancé, il n’a pas touché les écrouelles.
Avec le plat de mon glaive, j’ai ouvert au roi un passage parmi ces mendiants aux mains et aux visages noirs.
Peu après, nous chevauchions dans la campagne rousse aux couleurs de la moisson.
« Le roi menait grand galop et je retrouvais, à le suivre, les émotions que m’avait données son père, mon suzerain Philippe Auguste. Mais j’étais vieux et le roi Louis VIII, lui, n’avait que trente-six ans.
Il était de petite taille, maigre, mais chacun de ses gestes, chacune de ses paroles révélaient l’énergie qui brûlait en lui, grande flamme vive qui faisait briller ses yeux et oublier la pâleur de son visage et la modestie de sa stature.
Il était roi d’âme et de corps, et tous ceux qui le voyaient ne pouvaient douter de sa majesté.
Les Parisiens qui attendaient son retour ne s’y trompèrent pas et l’acclamèrent. Je me souvins alors des cris de joie qui avaient accueilli Philippe Auguste au lendemain de la victoire de Bouvines.
Louis VIII était l’héritier légitime et sacré de son père. Et quand nous, ses chevaliers, fûmes rassemblés autour de lui dans la tour du Louvre, il dit d’une voix drue :
“Pas un pouce de la terre que mon père m’a laissée en mourant ne sera rendu aux Anglais !”
Nous criâmes “Vive le roi !”, et, parce que Blanche de Castille s’était approchée, nous lançâmes aussi « Vive la reine ! »
Nos voix résonnèrent sous les voûtes et je sus que le royaume de France serait désormais le plus grand de la Chrétienté.
Je pouvais maintenant songer à m’allonger aux côtés de Philippe II Auguste, le Conquérant. »
J’ai lu cette dernière phrase d’Henri de Thorenc le coeur empli d’émotion. Et j’ai prié pour l’âme de mon aïeul afin que le Seigneur la place, auprès de Lui, entre celles de Philippe Auguste et de Louis VIII.
Car le règne du fils n’a duré que trois années. Louis VIII est mort le 8 novembre 1226 en Auvergne, à Montpensier, et Henri de Thorenc a pu encore assister, en la cathédrale de Reims, le 29 novembre, au sacre de Louis IX, fils du défunt.
Puis, le 7 décembre 1226, Henri de Thorenc s’en est allé à son tour, laissant à sa lignée un fils, Denis, le château et le fief
de Villeneuve de Thorenc, et cette chronique qui s’achève sur le sacre d’un nouveau grand Capétien, Louis IX le Juste, qui sera sanctifié.
Je reprends la chronique de mon aïeul alors qu’il n’imagine pas que le roi Louis VIII, qu’il vient de voir sacrer à Reims, mourra dans à peine trois ans, et avant lui.
Henri de Thorenc est plein de fierté et d’assurance pour le nouveau règne qui commence. « Il n’est personne, écrit-il au début de l’année 1224, qui ne respecte la majesté royale. La Normandie ne lève pas la tête. La Flandre ne refuse pas de courber humblement le cou sous le joug d’un tel maître. »
Il ne rappelle pas qu’au nom d’Henri III, roi d’Angleterre, les barons qui soutiennent les Plantagenêts réclament la restitution des fiefs que Philippe Auguste a arrachés à Jean sans Terre.
Nous chevauchâmes en Poitou, se borne à indiquer Henri de Thorenc, où villes et barons se faisaient une guerre perpétuelle.
Le roi Louis VIII partit de Tours à la fin de juin 1224. J’étais à ses côtés.
Il décidait avec la même promptitude que le roi Philippe, et, comme lui, préférait conquérir en achetant les hommes qu’en les éventrant. Le roi s’en fut donc en Poitou, et avec lui ses chevaliers, mais les glaives restèrent au fourreau et il termina la guerre avec maints écrins de joyaux, maints tonneaux remplis de deniers.
Ainsi le sénéchal d’Aquitaine se détacha du service d’Henri III d’Angleterre, et Savari de Mauléon, qui tenait La Rochelle, accepta les offres du roi et livra la ville.
Les barons de Thouars et de Châtellerault se vendirent un bon prix.
Les évêques et les bourgeois de Limoges, de Périgueux, de Cahors rallièrent le roi de France.
Seule Bordeaux, qui fait commerce de vins
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