Le Roman des Rois
égorgent les autres, crèvent les yeux à ceux qu’ils ne tuent pas.
Le roi attire d’autres bandes de soldats errants en leur promettant de leur verser leur solde. Ils accourent. Les sergents à cheval les chargent, les massacrent. Dix mille routiers sont tués après être tombés dans un autre piège.
« Ils se sont laissés saigner comme des moutons à l’abattoir. On trouva dans leur camp un amas de croix d’église, de calices d’or et d’argent, de bijoux portés par le millier de femmes qui les suivaient. »
Ainsi passe la justice du roi.
Elle frappe aussi les sujets qui s’organisent en confrérie dont les membres portent un capuchon de toile ou de laine blanche. Ils veulent constituer une « armée de la paix » capable de s’attaquer aux « routiers », mais refusent « insolemment l’obéissance aux grands… Ce peuple sot et indiscipliné a atteint le comble de la démence, écrit un témoin des actions et lecteur des écrits de cette Secta Caputiatorum . Ce peuple de capuchonnés ose signifier aux vicomtes et aux princes qu’il leur faut traiter leurs sujets avec plus de douceur sous peine d’éprouver bientôt les effets de son indignation… Ce fut, dans le royaume de France, un entraînement général qui poussa le peuple à se révolter contre les puissances. Bonne au début, son oeuvre ne fut que celle de Satan déguisé en ange de lumière… ».
Le roi aida les seigneurs, les archevêques et les évêques à débarrasser le royaume de cette secte fanatique. Les capuchonnés furent traqués comme des brigands et on lâcha contre eux ces routiers qu’on avait d’abord poursuivis et voulu exterminer.
Mais, entre deux maux, il fallait choisir, et les routiers, pillards cruels, étaient aussi des « piétons » et des « sergents » aguerris, qui, soldés, constituaient la « piétaille » de l’armée du roi de France.
Or le pape Honorius III et Louis VIII avaient besoin d’une armée royale puissante, glaive de la croisade à laquelle l’Église s’était résolue, malgré les conditions énoncées par le roi de France, l’hérésie en Languedoc n’ayant cessé de se développer.
À la fin du mois de mai 1226, écrit Henri de Thorenc dont je reprends ici la chronique, l’armée royale quitta Bourges pour gagner le Languedoc par Lyon et la vallée du Rhône.
On suivit la rive gauche du fleuve, effrayant ainsi les hérétiques du Dauphiné et de Provence, montrant la bannière à fleurs de lis au peuple du royaume d’Arles, terre de l’Empire romain et germanique de Frédéric II. On franchit le Rhône en Avignon et l’on mit le siège devant cette ville grosse d’hérétiques de toutes espèces, de fidèles de Raimond VII de Toulouse, vénéré là comme un sauveur.
On dressa le camp, on monta des machines de siège pour tenter d’ouvrir une brèche dans les puissants remparts.
Le cardinal de Saint-Ange, légat du pape, vint haranguer le roi et ses chevaliers :
« Il faut purger Avignon, dit-il, et venger l’injure faite au Christ ! »
La faim et la chaleur nous terrassaient. Des piétons et des chevaliers abandonnaient le siège. Les hommes tombaient, accablés par le soleil et la fièvre, et le roi Louis VIII lui-même succomba un temps à la maladie. Lorsqu’il fut rétabli, on lança en vain un assaut où trois mille hommes furent tués.
Avec sagesse le roi décida de ne plus tenter de prendre la ville de vive force. Il fit creuser un profond fossé entourant les remparts. Et, à la fin août 1226, les Avignonnais, affamés eux aussi, craignant le sort meurtrier qui avait frappé la population de Béziers et de Marmande, se rendirent.
Le Dieu clément et miséricordieux inspira le roi de France.
Il y eut remparts et maisons fortifiées détruits, fossés comblés, armes et machines de guerre livrées, contribution de six mille marcs d’argent versée, un moine de Cluny fut choisi comme évêque, et trente chevaliers entretenus pendant trois ans en Terre sainte par les marchands et les manieurs d’argent, mais aucun habitant ne fut égorgé, brûlé ou pendu. On n’entendit pas de cris d’effroi, et le sang ne coula pas. Ainsi la chute d’Avignon, ville forte, annihila la volonté de
résister, et les conditions de sa reddition incitèrent à imiter son exemple.
« Une telle stupeur frappa les peuples de tout le pays que les villes jusqu’alors indomptées et toujours rebelles envoyèrent au roi des députés, avec des
Weitere Kostenlose Bücher