Le Roman des Rois
il était abominable.
Ce frère Léger devint le favori du roi qui priait l’abbé de l’aller voir en sa compagnie.
Louis s’agenouillait devant le frère lépreux et le faisait manger.
Tel était le roi que mon père voulait que je connusse. Cette mission-là, qu’il s’était donnée, le maintenait en vie.
50.
Le roi approchait de sa trentième année et j’allais dans ses pas, disait mon père, lié à lui depuis l’enfance, ayant appris à connaître ses humeurs comme un paysan qui sait à un souffle de vent que l’orage va se déchaîner, et qui se précipite pour rentrer la moisson.
Je savais que le roi, satisfait d’avoir contraint ses vassaux félons du Poitou, de Champagne et de Bretagne à faire allégeance, se souciait des anciens pays d’hérésie que Raymond Trencavel avait échoué à soulever.
Mais le rebelle avait mis le siège devant Carcassonne, défié l’armée royale, et il avait fallu ces grappes de pendus aux arbres pour qu’il cédât enfin.
Cependant, le roi mécontent s’emportait.
Dans ces terres où l’hérésie poussait avec la vivacité d’une mauvaise herbe, Raimond VII de Toulouse ne s’était soumis que du bout des lèvres, et ne respectait pas les traités qu’il avait signés.
Des chevaliers dépossédés, ceux de Carcassonne et de Béziers, l’incitaient à se dresser contre les « Français ». Ces « faydits » – ces bannis –, liés à l’hérésie, protecteurs des Bons Hommes, s’indignaient de l’action des inquisiteurs.
Ces juges du pape traquaient en effet les hérétiques, dressaient des bûchers, y jetaient vifs tous ceux qu’ils suspectaient, qu’ils eussent avoué sous la torture ou eussent refusé de renier leur foi.
Et puis, il y avait ces châteaux comme des nids d’aigle accrochés aux cieux : Montségur, Quéribus, situés sur les frontières du Roussillon. Ces forteresses étaient des refuges défendus par quelques centaines d’hommes fidèles au vicomte Pierre de Fenouillet, à son lieutenant Chabert de Barbera, protecteurs de l’hérésie albigeoise.
J’étais auprès du roi et de Blanche de Castille quand un messager leur apprit que le 29 mai 1242, deux inquisiteurs, le frère Arnaud Guilhem, de Montpellier, et le frère Étienne, de Narbonne, ainsi que tous les membres de leur tribunal – une dizaine d’hommes –, qui se trouvaient à Avignonet, dans le Lauragais, sur les terres de Raimond VII, avaient été massacrés à coups de hache, d’épée et de lance par un parti d’hérétiques venus de Montségur.
Je n’avais jamais vu Louis IX et sa mère s’abandonner ainsi à la fureur.
Le roi, Blanche de Castille, comme les clercs qui les entouraient, mirent en cause Raimond VII, coupable d’avoir laissé préparer et s’accomplir le massacre sacrilège.
L’archevêque de Narbonne, Pierre Amiel, excommunia le comte de Toulouse. J’entends encore la voix de Blanche de Castille, frémissante d’indignation, ordonner – et le roi approuvait en se signant – qu’on « tranchât la tête du dragon », que l’armée royale commandée par le sénéchal de Carcassonne, Hugues des Arcis, soumît Raimond VII et détruisît le château de Montségur.
Après avoir remporté quelques succès, le comte de Toulouse s’en remit, en janvier 1243, à Lorris, à la miséricorde royale et promit de faire prêter serment de fidélité au roi de France par tous ses sujets, qu’ils fussent serfs, clercs, bourgeois ou chevaliers.
Le vicomte de Narbonne et le comte de Foix se soumirent à leur tour et Raymond Trencavel confirma qu’il renonçait à ses droits sur Carcassonne et Béziers.
Tous les biens de Raimond VII, qui n’avait pas d’héritiers mâles, passèrent à sa fille, mariée à Alphonse de Poitiers, l’un des frères du roi de France.
Le Languedoc était ainsi réuni au domaine royal.
Mais il restait encore à trancher la tête du dragon, ajouta mon père au bout d’un silence.
Il s’enfonça dans l’un de ces sommeils inattendus qui m’inquiétaient tant que j’étais tenté de les interrompre pour me rassurer.
Mais, à la fin, je les respectais, assis près de lui, veillant à ce que la couverture de fourrure recouvrît ses épaules qui parfois étaient agitées d’un brusque tremblement.
La mort et la vie se disputaient encore ce corps vieilli, cette âme toute emplie de souvenirs.
Il s’est enfin réveillé comme s’il n’avait somnolé qu’un bref instant et a
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