Le sac du palais d'ete
surnommait la « Sibérienne », avait appris à baragouiner suffisamment le chinois pour se passer d’interprète et poursuivre sans intermédiaire ses doux tête-à-tête avec Daoguang.
Onze mois plus tard et dans le plus grand secret, un enfant était né de cette union scandaleuse et hors normes. Ses parents l’avaient appelé La Pierre de Lune.
Un nom porte-bonheur. Le nom d’une gemme très rare, à l’extraordinaire luminosité et aux couleurs chatoyantes et subtiles. Une pierre qui semble tombée du ciel, encore plus prisée que le jade…
Mais à cause de cet enfant, le scandale couvait. Cette union entre une étrangère et l’empereur de Chine passait mal. D’autant que Daoguang, de plus en plus épris de la belle Russe, ne lui refusait rien. Il l’avait installée, avec l’enfant, dans un pavillon de son jardin privé. Le couple ne se quittait plus. Beaucoup, dans le proche entourage du Fils du Ciel, considéraient avec inquiétude ce vent de folie qui soufflait dans sa tête et l’amenait à délaisser sa tâche de commandant en chef de la Chine au profit d’une simple femme, étrangère de surcroît. Ses rivaux et ses ennemis, dont le nombre croissait chaque jour, se frottaient les mains. A la Cour, les haines et les jalousies s’exacerbaient. Nombreux étaient les hauts mandarins d’origine Han, pourtant plus tolérants que les Mandchous, qui commençaient à trouver que la Sibérienne se comportait un peu trop comme une impératrice à part entière.
Très vite, la Russe était devenue l’intruse haïe et jalousée, l’usurpatrice en puissance, la gêneuse qui fait trembler sur ses bases le Temple du Ciel… La pression devenait telle, sur les épaules de l’empereur, qu’il avait décidé d’envoyer l’enfant en province et ce, malgré les protestations d’Irina, qui fût volontiers repartie en Russie avec son fils. Mais cette perspective avait été irrémédiablement refusée par le Fils du Ciel.
— Si tu pars avec cet enfant, il perdra tous ses droits sur le trône de Chine ! Nous allons le mettre à l’abri pour quelque temps et, lorsque les choses se seront calmées, il reviendra ! lui avait-il lancé, furieux, lorsqu’elle avait évoqué cette hypothèse.
Entre eux, la scène avait été d’une violence inouïe, à la hauteur de leur passion. Elle s’était déroulée sous les grands yeux étonnés de l’enfant, qui avait à peine commencé à marcher mais que cela n’avait pas empêché d’éclater en sanglots.
— Mais regardez un peu ce petit enfant… il va être séparé de sa mère !
Les bras d’Irina, en pleurs, serraient La Pierre de Lune au point de l’étouffer.
— Tu devrais me remercier ! Plus d’une mère accepterait de payer si peu pour que son fils garde le bénéfice de ses origines impériales !
— Peu m’importe le prix à payer ! La Pierre de Lune est mon fils ! Notre enfant ! Un enfant a le droit d’être élevé par sa mère !
— Ici, c’est moi qui dicte le droit.
— Je ne m’adresse pas à l’empereur mais au père de mon enfant.
— Je ne connais pas d’empereur qui agirait comme moi !
— Qu’est-ce à dire ?
— Cet enfant pourrait devenir, le moment venu, Fils du Ciel à son tour ! Voilà pourquoi il ne doit pas quitter le périmètre intérieur de la Grande Muraille !
Irina était interloquée. Daoguang parlait-il sérieusement ? Un enfant dans les veines duquel coulait du sang russe pourrait un jour succéder à un empereur mandchou ?
— Vous n’avez donc pas choisi votre successeur ?
— Je n’exclus rien. S’il apparaît que La Pierre de Lune est le plus capable de mes fils, c’est lui que je désignerai…
— Mais comment cet enfant pourra-t-il prouver qu’il est de votre sang ?
— Tous mes fils bénéficient d’un certificat officiel de paternité !
En tout état de cause, elle n’avait pas été en mesure de s’opposer à la volonté de l’empereur. Que pesait une jeune femme russe face à l’un des monarques les plus puissants du globe ?
Le pot de fer a toujours le dernier mot sur le pot de terre.
Anéantie et impuissante, elle avait assisté à la fameuse entrevue au cours de laquelle Daoguang avait chargé Toujours Là d’éloigner leur enfant de Pékin et à l’issue de laquelle le Fils du Ciel, comme il s’y était engagé, avait apposé son cachet sur un certificat attestant que l’enfant était bien de lui.
Ce
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