Le secret de la femme en bleu
compte qu’il y passait plus de véhicules et de personnes encore qu’à la porte du sud et que, malgré les difficultés de la navigation, le port y entretenait une importante activité. Ils finirent par faire admettre au chef de poste que la surveillance était plus attentive sur les entrées que sur les sorties.
— De toute façon, expliqua ce dernier, nous avons à contrôler tout ce qui est apporté pour éviter les tricheries et les fraudes, tandis que les convois repartent, en principe, à vide… Mais, dès que nous avons appris ce qui s’était passé au palais cette nuit-là, nous avons redoublé de vigilance pour tout ce qui quittait la villa.
— C’est-à-dire à partir de quel moment ?
— Dès l’aube !
— Et vous n’avez rien constaté d’anormal ?
— Rien, en vérité ! Tu peux me croire, nous avons tout vérifié… plutôt deux fois qu’une.
Doremus et Sauvat ne prolongèrent pas leur enquête. Il leur fallait maintenant rapporter au comte Childebrand ce qu’ils avaient appris.
— En somme, dit l’ancien rebelle en caressant son crâne chauve, les bandits n’ont eu que l’embarras du choix quant à la manière d’assurer leur fuite… Je doute qu’une telle conclusion ravisse notre missus dominicus…
— J’en doute aussi, approuva le colosse roux avec un air plaisamment soucieux qui fit rire Doremus.
Lorsque le diacre Dodon introduisit Timothée auprès d’Erwin dans le petit scriptorium que celui-ci avait fait aménager chez lui, il trouva l’abbé plongé dans l’étude d’un manuscrit ouvert sur un pupitre devant lui. Le Saxon leva les yeux et fit signe à son visiteur de s’avancer, puis de s’asseoir près de lui.
— Bienvenue, Timothée ! dit-il. Voici une visite qui, entre autres mérites, va avoir celui de me distraire d’une lecture affligeante.
Du revers de la main, il frappa la page qu’il était en train de parcourir du regard.
— Je ne sais où celui qui a rédigé tout cela a déniché de pareilles inventions. Sans doute les Actes des Apôtres n’étaient-ils pour lui ni assez miraculeux ni assez édifiants. Aussi leur a-t-il ajouté des fables de son cru, renouvelées de légendes idolâtres. Les Actes deviennent ainsi une mythologie et leur sens, sacré, disparaît sous l’accumulation des prodiges !
Le Saxon secoua la tête, attristée.
— Quand je pense qu’il y a cinquante manuscrits de cette sorte et même davantage, pour quelques-uns seulement qui respectent à peu près le texte authentique… Quelle misère, quel scandale !
— L’exemple, jadis, n’est-il pas venu de très haut ? dit Timothée avec un léger sourire. N’est-ce pas le pape lui-même, ce Grégoire I er , tant vanté, qui a fait multiplier les récits propres à frapper l’imagination – parfois rédigés de sa main –, accumulant prodiges, miracles et résurrections ?
— Voilà des propos bien hardis, mon fils ! N’est-ce pas le Grec en toi qui dresse ce réquisitoire contre Rome ?
— Bah, en mon ancienne patrie, conteurs de fables et adorateurs d’idoles ne manquent pas non plus…
— Grégoire vivait en d’autres temps, voici deux siècles. Nous avons maintenant une tout autre tâche : guidés par Charles le Victorieux, il nous faut répandre et enraciner la vraie foi. Nous devons faire pièce à l’islam. Pourrions-nous y parvenir seulement avec des fables et des légendes ?
— L’homme aime les légendes.
— Je finirai par le croire… Cependant…
Erwin se leva, fit quelques pas pour se détendre et revint s’asseoir.
— Cependant, reprit-il, je ne crois pas que tu sois venu en cette retraite pour m’en proposer de nouvelles.
— Non, seigneur. Comment te dire qu’après tant de missions accomplies sous ta direction, eh bien…
— Cela te manquerait-il ?
— Je le confesse… Ah ! qu’il est difficile de dire certaines choses… La situation à la cour… Enfin… Ta sagesse et ta perspicacité y font cruellement défaut.
— Il y a, près du prince, nombre d’hommes perspicaces et sages.
— Certes. Mais présentement…
— Allons ! Je t’écoute.
— D’abord ce départ du comte Childebrand. Il a donc pris seul, je veux dire sans toi, seigneur, la route du sud pour une mission quelque peu mystérieuse. Me pardonneras-tu si je te dis qu’il y a de quoi s’interroger ?
— Je ne peux empêcher personne de s’interroger. Surtout pas un Goupil.
Timothée caressa son collier de barbe.
— Ces temps-ci, tu
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