Le secret de la femme en bleu
viendraient jusqu’ici pour nous défier, nous offrant par là même des indices ? Vraiment, je ne comprends pas ! J’en arrive à douter qu’une telle insolence soit le fait des bandits eux-mêmes !
— Cependant, intervint Sauvat, qui d’autre pourrait l’oser et risquer pour cela de terribles peines ?
Childebrand prit le galet en main pour le soupeser.
— Qu’est-ce que cette pierre peut avoir de particulier pour qu’il soit question de son poids en deniers ?
Les trois hommes demeurèrent un instant silencieux, plongés dans leurs pensées.
— A moins que, reprit le comte en regardant successivement ses deux aides et en hochant la tête, à moins que…
Comme s’il avait saisi l’explication que son maître avait en tête, l’ancien rebelle murmura :
— Les deux coffres, n’est-ce pas, seigneur ?…
Childebrand, imitant Erwin avec un sourire, fit le geste d’applaudir.
— Bien, très bien, mon fils ! dit-il. Les deux coffres !
Il tapota sur le manuscrit.
— Ceci ne peut avoir qu’un sens : nous indiquer ou nous faire croire qu’ils étaient remplis non de deniers, mais de pierres. Au moins pour une part… Car leurs contenus n’ont pas été vérifiés, si je l’ai bien compris… à aucun moment ?
— A aucun moment, confirma Doremus.
— Cependant, en les transportant, ne pouvait-on sentir une différence entre un chargement de galets, même bien emballés, et des sacs de deniers ? objecta Sauvat.
— Peut-être pas si le contenu était enveloppé par un fort capiton de paille serrée et tassée.
— De toute façon, trancha Childebrand, plus question d’interroger les porteurs ! Ils doivent être repartis au loin… qui peut dire où… Reste une question : en admettant que cette explication soit la bonne, pourquoi nous mettre la puce à l’oreille avec ce message ?
— Sans doute pour égarer nos recherches, avança Doremus. Si les deniers, en totalité ou partiellement, ont été remplacés par des galets, la substitution a pu intervenir en n’importe quel lieu entre Tours et notre résidence, y compris à Metz, Dieu sait par qui, Dieu sait comment. Voilà donc qui nous obligerait à mener des investigations non seulement ici, mais aussi sur ce parcours.
Sauvat émit alors une sorte de grognement.
— Mais alors, dit-il d’une voix hésitante, ces bandits auraient fait ce coup de main sanglant pour s’emparer de caisses pleines de cailloux ?
Doremus et Childebrand se tournèrent, surpris, vers le géant roux.
— Par le cul du diable, s’écria le missus, tu as raison, Sauvat ! Cela n’a aucun sens !
— Et pourtant, murmura l’ancien rebelle pour lui-même, cela doit en avoir un…
Après son entrevue avec Timothée, Erwin s’était donné le temps de la réflexion en s’isolant, chez lui, en une stricte retraite. A l’accoutumée, il recevait fréquemment des amis qui venaient lui rendre visite, des érudits avec lesquels il s’entretenait volontiers, des écoliers qui désiraient le consulter… A présent il avait consigné sa porte à tous et Dodon y veillait en gardien intraitable.
Lorsque Lithaire ( 10 ) se présenta pour obtenir une audience, elle se heurta au même cerbère que les autres. Le diacre lui fit bon accueil mais se refusa à « importuner son maître dans son travail, ses méditations ou ses oraisons ». Les consignes qu’il avait reçues ne prévoyaient aucune exception. Le Saxon entra dans le vestibule au moment où Dodon les signifiait à la jeune femme. Quand celle-ci aperçut l’abbé, elle se précipita au-devant de lui, s’agenouilla et lui saisit la main droite pour la baiser.
— Voyons, Lithaire, pourquoi cela ? Te voici tout émue. Quelque chose de fâcheux ?
— Oh ! non, mon père ! s’écria-t-elle. Depuis quatre années, depuis cette mission que tu as menée à bien contre la Salamandre…
— Avec ton aide, Lithaire…
— … je n’ai connu que des jours heureux.
Elle se signa.
— Que le Tout-Puissant en soit loué… et toi aussi, seigneur, car, sans toi…
— Des jours heureux ? Je sais que Jean, ton époux, a su faire preuve de zèle, et de discrétion, à la chancellerie où on lui confie maintenant des tâches importantes. Je sais aussi que le Ciel vous a donné un beau garçon… que vous avez tenu à appeler comme moi, bien qu’en vérité il n’ait rien d’un Saxon.
— Oui, notre petit Erwin qui a maintenant deux ans fait notre joie ; il est possible que je lui apporte dans quelques
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